L’exercice de style de Jean-Marc Guillez, ancien patron du bureau d’études d’Heuliez

La carrosserie Heuliez est née, a prospéré et est morte en un peu moins d’un siècle. L’entreprise basée à Cerizay, dans les Deux-Sèvres, a été considérée, au faîte de sa gloire, comme un constructeur à part entière, un sous-traitant de premier plan, doublé d’un solide bureau d’études foisonnant. Jean-Marc Guillez a été un de ses piliers, jusqu’à sa retraite, en 2010. Une carrière méconnue hors du commun retracée avec l’intéressé, retiré à quelques kilomètres de son ancienne entreprise.

Heuliez, pour Jean-Marc Guillez, c’est fini depuis plus de dix ans. Il a quitté en 2010 l’entreprise en proie à de grandes difficultés. Un départ à la retraite tout ce qu’il y a de plus classique, enfin presque. La boîte où il a fait toute sa carrière était à l’époque en train de se casser la figure.

Après la mort officielle d’Heuliez le 31 octobre 2013, certaines activités ont repris vie, sous d’autres noms et parfois d’autres formes. Il reste ce lieu emblématique, à Cerizay, dans les Deux-Sèvres, et un patrimoine hors normes aujourd’hui dispersé : des dizaines de prototypes, créations et propositions faites aux plus grands constructeurs, ont montré qu’Heuliez était un carrossier et un industriel pointu, mais aussi un laboratoire d’idées foisonnant, comme l’a été Matra. Jean-Marc Guillez a été un des piliers du bureau d’études d’Heuliez, succédant à Yves Dubernard en 1985.

Comme Yves Dubernard, Jean-Marc Guillez est natif du Nord, de Valenciennes plus précisément. Il y est né en 1950, mais n’y est pas resté longtemps : « Ma mère ne se plaisait pas tellement là-bas. Ma mère est d’ici, mon père avait toute sa famille là-bas. » Le jeune Jean-Marc passe et obtient un bac technique à Niort. « A l’époque, il y en avait très peu qui faisaient des études supérieures. En 1968, j’ai eu mon bac, peu de gens l’avaient. » Jean-Marc Guillez entre dans le monde du travail en 1969… chez Heuliez. « J’ai trouvé un emploi qui correspondait aux études que j’avais faites. Et à l’époque on embauchait beaucoup chez Heuliez. Je me suis présenté directement chez Heuliez. On m’a pris. Le bureau d’études c’était une spécialité que j’avais travaillé au lycée. »

L’automobile n’était pourtant pas le premier choix de Jean-Marc Guillez. « Je voulais faire de l’aéronautique en fait. J’avais fait des demandes pour partir dans une école d’aéronautique après le bac à Toulouse, il fallait passait des concours. Je n’avais pas eu les concours parce que c’était du très haut de gamme. J’en étais resté là, et puis j’étais peut être un peu feignant à l’époque. »

Voilà donc le jeune ingénieur intégré au bureau d’études Heuliez, auquel Gérard Quéveau, le patron, avait donné des moyens considérables au fil du temps. A son arrivée chez Heuliez en 1969, Jean-Marc Guillez fait ses armes au dessin. « Un des premiers projets sur lesquels j’ai travaillé, c’est le Taxi H4, c’est un projet qui a été fait avec Yves Dubernard, on l’a fait ensemble. »

A l’époque, le bureau de design était balbutiant. « Quand je suis rentré, c’était plus que balbutiant, corrige Jean-Marc Guillez. En 1965, le bureau d’études existait déjà, mais le vrai bureau s’est créé en 1965. En 1969-1970, on avait embauché beaucoup d’anciens de Citroën qui étaient venus chez nous, des gens qui habitaient la région parisienne et qui voulaient partir. Heuliez était une opportunité. On travaillait beaucoup pour des constructeurs, Citroën, Renault, beaucoup en sous-traitance directe de bureau d’études. J’aimais beaucoup déjà dessiner des voitures. Au début c’était principalement des pièces. Au début des années 1970 on a fait un véhicule complet, la Porsche Murène. »

Le dessin était signé Jacques Cooper. Heuliez a repris ce projet à son compte. A l’époque, le travail technique et celui sur la silhouette étaient séparés. « On n’a jamais été des spécialistes en mécanique. Nous on travaillait surtout la carrosserie. Après, on a beaucoup travaillé en sous-traitance d’études pour Citroën et en sous-traitance de style un peu. Mais pas sur des voitures complètes. »

Heuliez franchit un palier avec la consultation par Ford pour remplacer le Transit. « On a fait des propositions, à l’époque Patrick Le Quément était directeur du design de Ford Europe pour les camions en Angleterre.  Pour nous, c’était un gros projet, on a appris énormément de choses avec Ford.  On a appris par exemple à faire du modelage. On faisait déjà du modelage, on avait une équipe de modeleurs, mais là on a appris à travailler la clay. Nous, on ne connaissait pas la clay, on travaillait le plâtre, comme les Italiens. Ce projet était tellement important que c’est ce qui nous a permis de créer France Design à la Boujallière, au Pin. C’était le centre de design qui s’est appelé France Design, en 1978. Pendant deux ou trois ans, ce projet nous a permis de créer ce centre de design qui, par la suite, a pris une ampleur internationale même. Cette affaire avec Ford a été un départ de quelque chose de très important pour Heuliez. »

Dans les années 1980, Heuliez prend de l’avance. « On a commencé à travailler en CAO en 1980, et on était dans les premiers, on était même en avance par rapport aux constructeurs qui venaient nous voir. On avait un système qui s’appelait SYSTRID, qui avait été développé par l’Aérospatiale, et on a fait les premiers projets de CAO, dont celui de l’Alpine GTA en 1982. Yves Dubernard avait fait une proposition de style, on avait été consultés par Renault. On avait fait cette proposition-là qui avait été retenue. On a fait le plan de forme numérisé, et on a réalisé l’étude et les premiers prototypes. Il a été fabriqué. C’était aussi une étape importante. On avait investi. En 1980, on avait un bureau d’études qui devenait important : cinq ou six stylistes, ça devenait un peu important et on avait la possibilité de faire des études pour les constructeurs, on commençait à avoir une certaine notoriété. »

« En 1983, on a fait une proposition d’un cabriolet pour la Fuego avec un toit toile. C’est encore une phase importante parce que le cabriolet a été notre spécialité. C’est un peu la suite de la GTA« , poursuit Jean-Marc Guillez. « Le grand patron était très dynamique et il ne fallait pas grand choses pour le lancer sur un projet. Il suffisait d’une idée balancée en l’air et clac, ça partait. Ca ne venait pas forcément de lui mais il la prenait à son compte et après, ça partait dans tous les sens. »

Autre tournant dans l’histoire d’Heuliez : la fabrication des Citroën BX Evasion. « La partie break était confiée à Heuliez, les études et l’organisation dans nos ateliers. On avait de très très bonnes relations avec Citroën. Pendant dix ans, chez Heuliez, ça a été le lancement de la partie industrielle. C’est la première fois qu’on faisait des voitures complètes pour un constructeur » , se souvient Jean-Marc Guillez.

Toute l’entreprise a été mobilisée, du bureau d’études à la production, ce qui s’est traduit par d’importants investissements… et un chiffre d’affaires en conséquence. Avec la BX Evasion, il n’était plus question d’assemblage en petite série, mais bel et bien à grande échelle, avec une exigence de qualité dictée par le constructeur.

En 1985 Yves Dubernard quitte Heuliez et rejoint le centre de style PSA de Poissy. « Il lui fallait un remplaçant. On m’a proposé la place. J’avais une formation un peu plus technique qui a aidé énormément. J’avais beaucoup d’affinité avec le style, puisque j’aimais beaucoup dessiner les voitures, et avec la partie technique, ça donnait encore plus de crédit à la création, c’était complémentaire. Je m’appuyais beaucoup sur mes connaissances techniques pour la création de nouveaux projets, et ça m’a beaucoup aidé dans ma vie de designer à partir de 1985. On a commencé à faire beaucoup de véhicules salon. »

La période des années 1980 est foisonnante. Les souvenirs ressurgissent à l’aide d’un classeur de photos. La Peugeot 205 blindée, par exemple. « Proposition faite à Peugeot, on s’était rendu compte au moment de l’assassinat de Georges Besse que les voitures blindées, ça pouvait être intéressant. On n’avait des voitures blindées que sur les grosses voitures, mais pas sur les petites. Les gens étaient très intéressés, mais après, c’est compliqué d’industrialiser. On apprenait tout le temps, on explorait de nouvelles choses, c’était le but, on avait une équipe très dynamique qui avait envie de faire des choses nouvelles. »

Le concept de petit roadster Stars and Stripes est un autre exemple. « On avait tous les ans des stagiaires au design. On avait des accords avec une école de design de Detroit. On faisait venir des jeunes stagiaires américains. Un jeune nous a fait une proposition de petit cabriolet en 1986. Ce petit Spider s’appelait Atlantic, il était bleu. C’était une maquette. On voulait draguer Audi, on voulait travailler avec les Allemands. On a travaillé avec Mercedes, Volkswagen, par la suite. On a travaillé beaucoup en industriel avec eux. Ce petit véhicule est devenu jaune. Au début, il était fermé, on voulait le présenter à un autre salon.  On a pris la maquette et on l’a découverte. C’était le même, qui a été découpé, c’était une maquette qui n’avait pas de moteur. On avait coupé le véhicule pour en faire un cabriolet à pas cher. »

La Citroën BX Evasion (break) étant produite chez Heuliez, à Cerizay, à partir de 1985, elle a servi de base à de nombreux dérivés maison, comme la Dyana, un break de chasse. La cousine Peugeot 405 a eu droit à une étude de coupé. Aucune n’a vu le jour. N’est-ce pas frustrant ou démotivant ? « Démotivant, non, un nouveau projet c’est toujours motivant. Même s’il arrête à un moment donné sans avoir de suite. Pour avoir un projet qui va sortir, il faut en faire vingt ou trente. C’est la même logique chez les constructeurs« , détaille Jean-Marc Guillez. C’est ce qui a prévalu dans l’avènement des cabriolets chez Heuliez : « Tout ça a eu une incidence pour le départ des cabriolets, c’est toute une décennie. On en a fait un au départ et ça en a entraîné d’autres. »

Travailler sur des projets permettait de nouer des liens serrés avec les constructeurs, avec l’espoir d’un débouché sur une production en série, ou d’autres études. « Ils nous aident parfois. Ca les intéresse qu’on explore. Pour Peugeot, on avait exploré un véhicule de cinq places +2. Ils nous fournissent des véhicules, des aides au niveau design. Eux, ça les a aidés à voir les proportions de véhicules, ça les a aidés pour leurs futurs véhicules. »

Le break 309, asymétrique (une porte côté conducteur, deux côté passager) a été de ceux-là. Il a été demandé et payé par Peugeot, sans suite commerciale, mais exposé sur le stand Heuliez au Salon de Genève 1988 : « C’est un message à tous les constructeurs en montrant qu’on était capables de faire des choses. »

Heuliez a réalisé des maquettes pour Volvo, en coopération avec le style de la maison suédoise. Puis, à la fin des années 1980, Heuliez réalise des véhicules militaires, et en 1989 le concept-car Peugeot Agadès : « Un styliste de Peugeot a fait un dessin, il nous a servi de base pour faire le véhicule. On travaillait ensemble. Ce véhicule là, on l’a transformé, on voulait fêter l’anniversaire du raid Citroën et on a créé ce véhicule à partir de l’Agadès, qu’on a appelé le Scarabée d’Or. Il avait des sièges arrière qui se rabattaient, ça faisait un 4 places, c’était sympa, c’était rigolo. » Suivent une série de propositions de dérivés sur base de Peugeot 605 (cabriolet, limousine), qui n’ont pas dépassé le stade des maquettes au 1/5e.

Les équipes de Jean-Marc Guillez sont également consultées par Fiat pour des études, payées par l’Italien, pour le remplaçant du Fiorino. Ce n’est pas allé plus loin que la maquette. France Design s’est aussi penché sur la Citroën XM, dont la limousine. « Ca nous a aidé pour explorer des véhicules limousine traduites par des réalités. On a toujours eu cette culture limousine chez Heuliez. C’est de la transformation, ça n’intéresse pas les constructeurs. Nous on est adaptés pour faire ce genre de véhicules. »

Dans le même temps, France Design travaille pour toutes les divisions du groupe Heuliez, dont les ambulances. En 1992, Heuliez commence à s’intéresser sérieusement au petit cabriolet à toit dur, avec le concours de Peugeot, qui avait imaginé un petit Spider. Sans suite commerciale, une nouvelle fois. Puis c’est au tour de la voiture électrique d’être au coeur du bureau d’études, toujours avec Peugeot, et le projet K1, à la demande de PSA. « Ce véhicule a amené la fabrication chez nous des véhicules électriques sur la base de l’AX et de la 106. Au début des années 1990, on commençait à avoir une certaine notoriété sur les véhicules électriques, on était les premiers au monde à fabriquer des véhicules électriques en série. Ca a été le départ de beaucoup de choses qui nous ont servi par la suite, pour le remplacement des breaks Citroën qui arrivaient à échéance. Nos relations avec PSA et Renault arrivaient à échéance aussi. »

Jean-Marc Guillez fait allusion à la fin de l’ère des breaks Citroën chez Heuliez, à la retraite des Xantia et XM. « Jacques Calvet est parti, il a été remplacé par quelqu‘un qui n’a pas forcément suivi les relations particulières qu’on avait. Chez Renault c’était la même chose, les hommes sont partis, les relations ont changé, ça devenait plus compliqué. On a profité de la notoriété qu’on a pu avoir sur les véhicules découvrables et électriques, par l’aspect industriel et par le projet Peugeot S16, qui nous a mis le pied à l’étrier pour penser à l’après-break. »

Ainsi naît le projet de la Renault Safrane Long Cours, raconté par Jean-Marc Guillez. « Un jour on a fait un dessin sur la base de Renault Safrane. Un dessin de salon, en 1993. On recevait beaucoup de gens sur le stand. Ce dessin avait intéressé les gens du style de Renault passés sur notre stand. Ils l’avaient conservé et peut-être quelques mois après, ils nous ont appelé en nous disant : « Est ce que ça vous intéresse de participer à des propositions de véhicule pour la remplaçante de la Safrane ? » Des idées il y en avait beaucoup, proposées par le style de Renault. Ils nous disaient : « Sur la base du dessin que vous venez de faire, est ce que vous pouvez nous faire quelques chose, on vous aidera. » On a fait la Long Cours. C’était un break. C’était entre break et berline, c’est ça qui les intéressait. Est-ce que l’évolution de la berline ne va pas aller vers ce genre de véhicule ? Ca les intéressait de faire des études de marché sur la base de ce véhicule. On a fait quelques dessins à l’époque. Là, ça commençait déjà à devenir une grosse berline un peu différente. Ils nous ont beaucoup aidé au niveau du style, ils nous ont donné des véhicules, ils nous ont donné des Safrane Biturbo, ça coûtait une fortune à l’époque. Ils nous en avaient donné deux ou trois, on avait beaucoup de contacts avec eux. Des gens du style Renault venaient voir ce qu’on faisait, ils nous conseillaient un petit peu. La Long Cours a eu un certain succès au Salon, on a fait un intérieur très haut de gamme en cuir. Cette voiture a participé aux études de marché. Ensuite, aux tests clinique, on présente plein de véhicules. Et nous, on avait celui-là. Il a été assez côté à l’époque, il était très apprécié mais ce n’est pas lui qui est sorti. Il y en a qui trouvaient qu’il avait un aspect un peu trop break, il sortait trop de la berline, c’était complètement nouveau. Ca avait intéressé les gens de Renault. Renault était très en avance et aimait l’innovation.« 

En 1994, au Mondial de Paris, Heuliez présente la Citroën ZX Vent d’ouest, un cabriolet à toit en toile. « C’est la première fois qu’on travaillait avec une boîte américaine qui faisait des toits en toile, qui s’appelait ASC, avec laquelle on travaillait. On est allés plusieurs fois aux Etats Unis, on travaillait en coopération pour ce véhicule là. Ils nous avaient fabriqué la partie toile. On savait faire un cabriolet toit toile sur un proto, mais au niveau industriel c’est autre chose, c’est beaucoup plus compliqué. Au début des années 90 on, était très prolifiques, il fallait qu’on trouve des voies pour remplacer les breaks Citroën, on savait pertinemment que c’était la fin de quelque chose, donc on a travaillé beaucoup. » Autre proposition : un break tout-terrain luxueusement présenté, la Citroën Xantia Buffalo… qui a préfiguré les Audi Allroad.

Arrive alors le « miracle » Peugeot 206 CC, celui dont Jean-Marc Guillez est le plus fier, et dont les études chez Heuliez remontent à 1996. Le projet est accepté, mais Heuliez ne sera chargé de fabriquer que le module de toit prêt à brancher sur la voiture en cours d’assemblage chez Peugeot. Le succès a été phénoménal et a remis un coup de projecteur sur Heuliez, devenu un spécialiste mondial reconnu du toit rétractable électriquement. Le succès de la 206 CC a ouvert une brèche, et Heuliez a planché sur d’autres projets, dont ceux qui allaient devenir la Volkswagen Eos et la Renault Mégane CC… finalement concrétisés par d’autres carrossiers.

« On avait un projet de toit dur sur la Mégane, en deux parties qui venaient se superposer, très intéressant par rapport à la concurrence. On avait été retenus, et c’était juste au moment où Heuliez commençait à aller un petit peu mal, et à être racheté par les Indiens. Donc Renault commençait à être réticent. Ils ont repris notre projet, l’ont fait faire par Karmann. Ils ont racheté les brevets. On était dans une situation pas très intéressante… Karmann était très lié à Renault à l’époque. C’était compliqué de se battre. »

Heuliez loupe le coche Renault, mais attire dans ses filets Opel, qui sollicite le groupe cerizéen pour étudier et produire un coupé-cabriolet, sur la base de l’Opel Corsa. « C’était une grosse phase pour Heuliez parce que le véhicule a été accepté, des contrats ont été passés avec Opel, c’était la fabrication entière du véhicule« , se souvient Jean-Marc Guillez. Le partenariat était plus poussé qu’avec Citroën, puisque Heuliez fabriquait pour la Tigra TwinTop davantage de pièces de carrosserie que sur les breaks Citroën. Heuliez était aussi chargé de livrer les voitures chez les concessionnaires Opel. D’ailleurs, c’est la seule fois où le logo Heuliez, la carriole, figure sur une voiture de série.

Heuliez croyait tellement au cabriolet à toit rétractable qu’il a vu plus grand, tout en étudiant la succession possible de la Tigra TwinTop, le projet 4435 : « On a fait la Macarena, qui était la suite logique, parce qu’on se voulait le spécialiste des voitures découvrables dans leur ensemble. Le cabriolet était un secteur du marché. La découvrable allait beaucoup plus loin. Il faut offrir la possibilité de découvrir une voiture avec quatre places. Ca ne s’est jamais fait.  C’était compliqué mais nous, on avait l’expérience qui nous permettait de faire ce genre de chose. Les gens nous faisaient confiance. Après la 206 CC, on a eu les constructeurs du monde entier. Avec la Macarena, on voulait découvrir une quatre places. On a pris la base de la Peugeot 407 et on a conservé l’architecture avec les quatre places, pas tout à fait le même châssis parce que ce n’est pas rien de faire ce genre de véhicule. On a fait un tunnel entre le passager avant et le passager arrière pour le renforcer au niveau des portes pour le maintien en torsion. On a fait des essais de torsion, et après, le toit. On est tous devenus des spécialistes par la force des choses. C’est venu tout doucement. Un toit de 206 a une certaine longueur, mais un toit de 407 est très très long. Un toit de cette longueur là, pour le stocker dans le coffre, c’est pas la même chose. On a étudié plein de systèmes. On a fait ce système avec les deux bras qui se replient devant et qui se stockent à l’endroit le plus intéressant. Ce sont les gros morceaux latéraux qui prennent le plus de place. On avait les trois toits en verre qui venaient les uns sur les autres, et tout l’ensemble venait. On l’appelait Macarena, c’était l’époque de la chanson, on avait un commercial, un jour, qui passe devant la voiture, et il dit : « on dirait la Macarena », et il fait les gestes… Et on l’a appelée Macarena. »

Jean-Marc Guillez conserve beaucoup d’affection pour cette voiture. Pas autant que pour la 206 CC, mais l’esprit est le même. Peu de gens y ont cru. « Au niveau de la complexité, c’était la voiture la plus aboutie. C’était un challenge extraordinaire. Macarnea c’est comme la 206 CC. J’avais mon patron qui me poussait, qui me disait « il faut y arriver ». Mettre au point un toit comme ça, c’était un casse-tête. Il faut aussi adapter la voiture qui a des contraintes. Contraintes de torsion… Des contraintes dans tous les sens. »

Lors de sa présentation, en 2006, certains ont même estimé que la Macarena était plus élégante que la Peugeot 407. Plus basse, plus fine, façon coupé quatre portes… « Chaque fois que les gens venaient nous voir, pour voir la Macarena, c’était vraiment… Ils trouvaient ça vraiment extraordinaire. Il n’y a pas eu une personne qui a dit que ce n’était pas bien. Tout le monde trouvait ça extraordinaire. Mais fabriquer un véhicule comme ça… Pour nous, ça a été compliqué d’arriver à faire un proto qui fonctionnait. Je comprends les industriels qui disent que c’est compliqué. Pas un industriel nous suivait. Se lancer sur un projet comme ça, c’était un risque énorme. Personne ne l’avait jamais fait. Sur la 206 CC, c’est pareil, personne ne l’avait jamais fait. Mais il y avait moins de risque. »

La Macarena restera le tout dernier concept-car imaginé par Heuliez, qui tentera enfin de rebondir à cause du relatif insuccès de la Tigra TwinTop avec une petite voiture électrique urbaine, la Friendly, devenue la Mia Electric. Un concept que Jean-Marc Guillez adorait, mais qui n’a pas pris la direction qu’il souhaitait.

« J’ai quitté l’entreprise, la voiture était sur le point d’être finalisée. Quand je suis parti, un an après, elle était finalisée.  La société Mia Electric avait été décidée. On était 200, à comparer à une société où on était 3 000, et avec des structures de la société de 3 000. C’est tout le problème. Chaque fois qu’ils avaient des réunions pour prendre des décisions sur un détail, on était vingt autour d’une table. C’était pas possible. On avait tellement appris de choses avec le véhicule d’avant, il y avait des spécialistes pour chaque domaine, il y avait des spécialistes pour tout. A chaque fois qu’on avait une réunion, il y avait tous les spécialistes autour d’une table, ce n’était plus possible, je le sentais venir, c’est ça qui a été au départ du déclin d’Heuliez. On est devenus trop gros trop vite. Avec le recul, on a grossi trop vite, on n’a pas eu le résultat escompté. »

Les difficultés financières, les reprises et les promesses qui ont suivi n’ont rien arrangé. « Si l’entreprise avait été en bonne santé, on aurait pu continuer à faire d’autres voitures. Je suis parti au moment où l’entreprise n’était pas en bonne santé. J’étais affecté de partir dans ces conditions là, j’arrivais au terme de ma carrière. Je partais et je savais très bien que si je restais, ce n’était plus possible. Il fallait bien que ça se termine un jour. C’est un métier créatif, on créait tous les jours. C’était le charme du travail qu’on avait à faire. On allait partout, les dix dernières années, on voyageait partout pour aller chercher les contrats et suivre les contrats. On a eu des contrats avec Nissan au Japon, avec Kia en Corée, avec les Allemands, des Italiens, avec beaucoup de déplacements. »

Un rythme subitement ralenti avec une retraite bien méritée, depuis 2010. Jean-Marc Guillez a tourné la page : « Je suis passé à autre chose, je suis devenu peintre. Maintenant, j’ai oublié, j’aime bien en reparler, mais je suis passé à autre chose. » Même si on ne met pas sous le tapis si facilement une telle carrière : Jean-Marc Guillez a été sollicité et a tenu une conférence au Musée auto-vélo de Châtellerault, qui héberge plusieurs voitures de l’ex-collection Heuliez. Et il a largement contribué à la remise en route du toit rétractable de la Macarena visible là-bas.

Aujourd’hui, Jean-Marc Guillez ne lit même plus un magazine automobile. Mais dans un coin de sa maison, le classeur de photos et quelques dessins qu’il a réalisés ne demandent qu’à être de nouveau « racontés ».

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