La pression monte doucement mais sûrement chez Alpine, qui ne devrait plus tarder à montrer les lignes définitives et surtout totalement dépourvue de camouflages de sa nouvelle berlinette. Un modèle inédit, qui relance la marque après environ vingt et un an d’absence. On a failli attendre… Après deux concepts teasing, place pré-commercialisation via une appli mobile, qui concerne 1955 exemplaires numérotés.
Maintenir la pression sans trop en dévoiler, juguler les impatiences, c’est tout un art qu’Alpine manie désormais à merveille. Les équipes de la marque renaissante, Michael Van der Sande et Antony Villain, en tête, on dû en bouffer, des séances de coaching en communication, pour se prêter régulièrement au jeu des interviews sans en dire plus qu’il n’en faut et maintenir l’effet de surprise. Il faut dire que l’attente autour de la nouvelle voiture, et l’engouement pour la marque en général, semblent dépasser les espérances.
À tel point qu’Alpine peut aujourd’hui se permettre de permettre à des clients de réserver une voiture qu’ils n’ont jamais vue. On est coutumiers du fait chez les constructeurs de supercars qui vendent leur production avant la présentation officielle du modèle. Ou encore faut-il s’appeler Tesla pour jouer à plein sur l’effet de promesse pour engranger les pré-commandes.
La chance d’Alpine, c’est d’avoir une histoire exceptionnelle, qui en fait déjà une marque culte malgré les atermoiements passés de plusieurs modèles de série, et des hésitations du constructeur de tutelle, Renault. Cette marque culte a promis de réinterpréter un modèle… culte, l’A110. Deux concept-cars, la Celebration et la Vision, ont très vite donné un aperçu du nouveau design extérieur. Suffisant pour vendre un peu de concret, et pas de la poudre aux yeux. Mais pour le reste, c’est le grand flou ou presque… Les seules indications fournies par Alpine : la voiture sera légère et devrait expédier le 0 à 100 km/h en 4,5 secondes. Et ça paraît suffisant, aujourd’hui, simplement sur l’émotion suscitée par une marque, une histoire ou un modèle, pour pré-vendre une voiture, voire un événement.
En permettant aux clients de réserver une voiture sur une application mobile à télécharger (disponible sur AppStore et GooglePlay), Alpine sort des sentiers battus et s’ancre dans son époque. L’idée de base : réserver un des 1955 exemplaires de la future Alpine série spéciale limitée Première Édition, verser 2 000 €, choisir la couleur (bleu Alpine, noir profond ou blanc solaire), choisir aussi le numéro, et attendre patiemment tout le reste tout en s’accommodant d’approximations.
Le prix final de la voiture ? Entre 55 000 et 60 000 €. La livraison ? Fin 2017. Quant aux caractéristiques techniques et à l’équipement de série, on voyage en terre inconnue. Vous allez me dire que sur le « coup » de la réservation par appli mobile, on nage dans l’irrationnel et que les futurs caractéristiques du modèle ne sont qu’accessoires. On est dans le collector pré-supposé. Et accessoirement, l’opération permet de prendre la température de l’état d’esprit des acheteurs potentiels.
L’appli a aussi, et il faudra s’y faire, a le mérite de rendre la marque accessible, à portée de main. À ce stade du projet, rien n’a filtré sur le mode de commercialisation des futures Alpine. On ne pourra pas acheter ou voir une Alpine dans n’importe quelle affaire Renault, qui parfois fait un peu de place dans son showroom pour un corner Dacia. Par exemple, seules cinq concessions Nissan sont agrées par le constructeur en France pour vendre, entretenir et réparer des Nissan GT-R. Les centres Alpine ou Alpine Store ne vont pas pousser comme des champignons. Cette distance avec le public, imposée, oblige aussi l’amateur à se laisser guider par le constructeur.
Mais on a beau être passionné, impatient, on a beau espérer avoir rendez-vous avec l’Histoire automobile, l’achat d’une voiture à l’aveugle me laisse un chouia perplexe, même si j’admire le caractère décalé de l’opération. Ma crainte, que la renaissance d’Alpine permette de spéculer et que les premières autos finissent dans un garage, sous une belle housse frappée du A d’Alpine, en attendant que la cote grimpe.
Après tout, le client est roi. À lui de choisir la vocation de sa voiture. Mais aussi, quand il achète les yeux fermés, d’accepter le risque de la déception. Entre 55 000 et 60 000 €, on est face à une Porsche Cayman de 300 ch, d’un peu plus de 1.300 kilos, équipée d’un 2.0 quatre-cylindres à plat, et qui abat le 0 à 100 km/h en 4,9 secondes. Un bon petit jouet fréquentable, et surtout une rivale toute désignée pour aller au tampon avec la nouvelle Alpine.
Avec le Cayman, modèle bien établir puisque sur le marché depuis 2005 en deux générations et demi, c’est l’assurance d’avoir entre les mains une auto agile, de caractère, qui vire à plat, correctement finie mais mal équipée, et qui dispose en option de la meilleure boîte à double embrayage du monde. La nouvelle Alpine aura tout à démontrer. Mais elle a pour elle cette dose d’émotion savamment entretenue et surtout cette aura presque naturelle. Quel poids auront ces considérations face à la qualité de la planche de bord, le maintien et la garniture des sièges, le design des jantes, la réactivité de la boîte EDC, l’équilibre général de la voiture et ses performances, dont on ne sait rien ?
Sans doute fais-je partie de l’ancienne école qui a besoin de sentir, de toucher, de vibrer, avant même de consentir à signer un chèque. Le retour d’Alpine est trop marqué du sceau de la passion pour avoir à faire ses premiers pas en dialoguant bêtement et froidement avec un écran, même si la suite de l’opération, et la concrétisation des ventes se fera entre personnes composées de chair fraîche… Une appli pour configurer, simuler, et donc rêver, c’est entré dans les moeurs. Passer le cap commercial à distance n’est pas de nature à m’émouvoir.
Comme beaucoup client potentiel de cette nouvelle Alpine si mes moyens financiers me l’autorisaient, j’aurais tellement aimé tourner autour de cette voiture, me laisser séduire et embarquer, discuter avec un véritable ambassadeur de la marque, fondu de cette bagnole qui devrait avoir tant de choses à raconter. Bref, une transmission de virus en direct, en bonne et forme, à base de frissons, avant de laisser échapper un acompte… Moins d’exclusivité mais encore plus de passion. Et là, je signe !
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