Voitures anciennes bannies : le délire parisien fera-t-il tâche d’huile à Arras ?

Aujourd’hui, vendredi 16 septembre Arras, jolie ville préfecture du pas-de-Calais, instaure la Zone 30 dans l’ensemble du centre, ceinturé par des boulevards. En faisant la promotion de la « ville apaisée », les élus réfléchissent aussi à la constitution de zones de circulation restreinte. Le coup de trique parisien, qui bannit les voitures anciennes, ferait-il école ?

citroen-traction-avant-arrasDepuis le 1er juillet, les voitures âgées de plus de vingt ans ne peuvent plus circuler dans Paris du lundi au vendredi, de 8 h à 20 h. C’est peut-être l’arbre qui cache la forêt puisque l’État s’amuse à balancer des appels à projets « Villes respirables » (c’est louable)  pour aider des collectivités, euros à l’appui, à par exemple définir des zones de circulation restreinte. Ce qui veut dire véhicules à bannir. Arras et sa communauté urbaine seraient intéressées, selon L’Avenir de l’Artois.

Arras, préfecture du Pas-de-Calais, est à 50 minutes en TGV de Paris, et à 1 h 45 en voiture. Petite ville de 45000 habitants au centre-ville craquant, prête à faire la même connerie que sa grande « voisine » la capitale ?  La réflexion n’en est qu’à ses débuts, mais elle pourrait être vite concrète. Déjà, Arras fait un pas dans ce sens en faisant passer en Zone 30 , dès ce vendredi 16 septembre, l’ensemble des rues du centre-ville ceinturé par des boulevards.

L’argument d’apaiser la ville s’entend, se comprend et se défend. Celui du rééquilibrage du partage des espace de circulation publics, entre autos, vélos, piétons et transports en commun aussi. À ce titre, la communauté urbaine d’Arras a mis en service en 2013 une navette gratuite d’une dizaine d’arrêts en centre-ville, et qui dessert quelques parkings gratuits. La navette a même été convertie à l’électrique fin juin 2016. Bonne idée, mais il y a un coût pour la collectivité. Pas pour l’usager direct.

Le côté incitatif de la combinaison des parkings relais et de la navette gratuite va dans le bon sens. En revanche, avec la zone de circulation restreinte, on entre dans la sanction. Le risques d’exclusion de certains usagers est nettement plus problématique. D’après La Voix du Nord, le 28 septembre, Claude Féret, adjoint et conseiller communautaire, tient à rassurer tout le monde :  «  Il n’est absolument pas question d’interdire les voitures et les motos anciennes dans Arras. On doit certes créer des zones de circulation restreinte (ZCR), comme on l’expérimente déjà sur la place des Héros avec la piétonnisation. Mais il n’y aura pas de discrimination entre véhicules polluants et non-polluants. On encourage seulement les gens à changer de comportement, en utilisant davantage le vélo ou le bus et en partageant l’espace.  »

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Discrimination et incohérence

Sans savoir précisément à l’instant T ce qu’Arras et la communauté urbaine adopteront, ni quand (et surtout si le projet aboutit), le spectre du bannissement des voitures de plus de vingt ans, dans certaines zones, comme à Paris, est de loin le plus flippant. La mesure appliquée à Paris est injuste.

Elle sanctionne une forme de mobilité plus qu’elle n’encourage les modes de transports alternatifs. Incohérente, elle handicape ceux qui n’ont pas d’autre choix économique que de rouler en voiture âgée. Les foyers aisés ne sont généralement pas connus pour user jusqu’à la corde leurs autos, mais pour les renouveler régulièrement. Changez votre Audi Q5 TDI tous les trois ou quatre ans, et vous serez partout peinards. La mesure prive aussi  d’une liberté fondamentale, celle de circuler, ceux qui font le choix de rouler, par plaisir, en « mamie ».

La mesure emmerde plus qu’autre chose les riverains qui habitent quand même des centres-ville difficiles à peupler (parlant du cas d’Arras). Elle tape en dépit du bon sens : non pas en fonction des émissions réelles (théoriques, ou administratives, disons…) des véhicules, mais d’une année de mise en service, dans distinction aucune.

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À Paris, une Renault Mégane 1.6 essence de 90 ch mise en service courant 1996 est bannie, alors qu’une Mégane équipée du même moteur (donc qui pollue en théorie de la même manière) mise en service fin 1998 pourra se balader tranquillement sans restriction. Une Peugeot 106 de 1993 pollue-t-elle plus ou moins qu’un Range Rover de 2006 ? Le système français d’évaluation des émissions polluantes ne tient compte que des émissions de CO2. Il néglige les Nox, par exemple, et l’État a, à ce titre, subventionné à coups de bonus écologique la vente de milliers de voitures diesel.

La distinction essence/diesel ne tient pas davantage dans l’application de la mesure à Paris. On ne s’en tient qu’à une date limite. Pour ses poumons, faut-il avoir peur d’une voiture de dix ans et 200.000 kilomètres, ou d’une vénérable 25 ans d’âge à papy de 75.000 kilomètres ?

Pourtant, toutes ces anciennes d’avant 1997 et honnies bénéficient d’un droit de circuler accordé par un « contrôle technique valide ». Les émissions polluantes ont été mesurées par les contrôleurs. La voiture dans les clous, le petit papillon CT est apposé sur le pare-brise pour deux ans. Mais ça ne compte pas.

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La mesure d’exclusion peut-elle avoir un effet véritable sur les conditions de respirabilité dans certains secteurs d’une petite ville comme Arras ? J’en doute. Admettons que la mesure concerne les autos de plus de vingt ans. Imaginons, comme à Paris, une dérogation pour les voitures avec une carte grise de collection (plus de trente ans). Le ventre mou constitué d’autos âgées de plus de vingt ans, et pas encore reconnues en collection (administrativement, du moins) est faible. L’impact de la mesure à l’échelon d’une petite ville comme Arras, ou d’autres villes de la communauté urbaine ne semble guère évident.

Interdiction, oui, mais pour tous les automobilistes, pour défendre l’idée de l’effort collectif

Si l’objectif de protection de la population par l’instauration de ZCR est lui aussi louable, on aura du mal à faire croire que la pollution atmosphérique générée ailleurs en ville s’y cantonne et n’atteint pas les zones libérées d’une faible quantité de voitures. La mesure la plus juste et équitable, pour atteindre cet objectif, me paraît être l’interdiction pure et simple de la circulation de toutes les voitures, sur un secteur donné. Pas de discrimination au sein d’une même famille de transports. C’est l’idée générale  de la mobilité qui prend le dessus.

Piétonnisons complètement ! Arras a franchi le pas dès 2014 en rendant aux piétons la magnifique place des Héros chaque week-end, de fin juin à fin septembre. La mesure a même été prolongée en septembre en piétonnisant la place les soirs de semaine, de 19 h 30 à  6 h.

Ou alors autorisons seulement les bus, les taxis et les vélos. Tous les automobilistes sont sur un pied d’égalité. Tout le monde doit s’adapter, et pas seulement une partie des automobilistes, alors que les autres restent peinards. Pas de risques d’opposer des franges de population à d’autres.  L’idée de l’effort collectif est nettement plus valorisante, intelligente avec un objectif commun, et facile à défendre.

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Quant à la question du contrôle, elle n’est pas si simple à gérer. Le principe d’exclusion d’une voiture à date anniversaire est, par essence, mouvant. Pas simple de garder un œil sur sa carte grise pour contrôler l’âge de sa bagnole, et un autre sur le calendrier. Les contrôles de vitesse des voitures en ville ne sont pas toujours faciles, alors allez justifier la légitimité d’un contrôle d’une voiture trop âgée. Laquelle, la plus dangereuse, pour la population ? Celle qui roule trop vite, ou celle dont on suppose qu’elle pollue trop ?

Et l’information des usagers ?

En termes d’information des usagers de la route, enfin, on souhaite bon courage aux élus locaux. L’application de la mesure à Paris a été largement médiatisée. L’information a été aperçue par un grand nombre de citoyens. L’application éventuelle d’une mesure identique à Arras n’aura peut-être pas le même écho. Et la logique voudrait que l’information officielle d’une interdiction de circulation se fasse par signalisation routière et non pas par médias interposés. À défaut de signalisation routière, un usager au volant âgée d’une voiture de plus de vingt ans, et contrôlé avec une infraction à la clé pourrait plaider sa bonne foi par manque d’information.

Et si, finalement, l’incitation plutôt que la trique était plus efficace ? Arras et la communauté urbaine, on l’a vu plus haut, ont testé des mesures incitatives, approuvées depuis. Le réseau de transport en commun (compétence de la communauté urbaine d’Arras) s’étoffe progressivement, même si les bus au gazole sont une plaie en termes de pollution, et que les nouveaux véhicules qui remplacent les anciens roulent toujours… au gazole. Autant de démarches qui permettent progressivement d’instaurer dans les esprits le fait que la voiture n’est plus complètement indispensable en centre-ville. Sans passer par l’exclusion.

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