Gilles Maignan, 46 ans, a été cycliste professionnel de 1995 à 2001. Il a couru quatre Tours de France sur deux roues. Aujourd’hui, c’est sur quatre roues qu’il parcourt les 3300 kilomètres de l’édition 2015 de l’épreuve. Pas à n’importe quelle place : c’est l’automobiliste systématiquement en tête de la course, cette année au volant de la nouvelle Skoda Superb : il est le pilote de Christian Prudhomme, le directeur du Tour. C’est sous la pluie, au départ de l’étape Arras-Amiens, qu’il raconte cette reconversion hors du commun.
Comment vous êtes-vous retrouvé au volant de la voiture du directeur de course ?
» J’ai commencé comme pilote invités sur le Tour quand j’ai arrêté de courir, en 2002. J’ai fait mon premier Tour de France en juillet 2002. J’ai fait ça pendant deux ans. Après, Christian (Prudhomme) est arrivé pour succéder à Jean-Marie (Leblanc) et là, ils cherchaient quelqu’un pour conduire Christian. On m’a proposé le poste. »
Pilote invités, vous faisiez quoi exactement ?
» On prend des invités tous les jours et on fait l’étape, on explique un peu la course. On est à l’échelon course, mais les voitures sont là, elles regardent, elles restent, elles naviguent, et à 30-40 km de l’arrivée, elles y partent directement. Je n’ai pas postulé. Ce sont eux (Amaury Sport Organisation) qui m’ont proposé. J’ai accepté. On a commencé avec Christian à Paris-Roubaix en 2004. Depuis le Tour 2006, on est seuls aux commandes à bord du Tour de France puisque Jean-Marie est parti sur le Tour 2006. »
Quelle sont les difficultés à piloter cette voiture ? Quelles sont les contraintes ?
» Ce n’est pas cette voiture-là qui a plus de difficultés qu’une autre. Ce sont toutes les voitures, à partir du moment où on est à l’échelon de la course. Elles ont toutes un peu les mêmes contraintes. Les contraintes, si on peut dire qu’il y a des contraintes… Il y a plus d’avantages que de contraintes. La seule contrainte c’est la gestion du public, sur des moments un peu plus stratégiques comme les cols, les routes un peu plus étroites. Sur le Tour, il y a quand même beaucoup, beaucoup, beaucoup de monde. Sur le nombre de personnes qu’il peut y avoir sur le bord des routes, la majorité heureusement est intelligente est disciplinée. Il y a toujours quelques exceptions qui nous compliquent la tâche. »
Etes-vous l’oeil du directeur ? Avez-vous une fonction particulière dans la voiture ?
» Quand on a des invités dans la voiture, Christian a des obligations, il ne peut pas avoir l’oeil partout. Notamment quand on est derrière les échappés, dès qu’il y a un souci, un coureur qui lève le bras, ou un directeur sportif qui demande pour parler à son coureur, je lui donne l’info. Comme il est derrière moi, avec le siège et l’appuie-tête, je lui cache un peu la vue, il n’a pas toujours l’oeil dirigé vers les coureurs échappés. Dès qu’il y a une demande particulière, je lui signale, il ne peut pas avoir l’oeil partout. »
Vous avez eu une formation particulière pour ça ?
» Ouais, coureur cycliste ! (Rires). Tous les pilotes à l’échelon de la course sont tous d’anciens coureurs, que ce soit voiture ou moto. C’est une règle chez nous. Les gars savent, au niveau des trajectoires, où les coureurs vont se mettre. Le but, c’est de se mettre à l’opposé pour ne pas les gêner. Dans les voitures, c’est un intérêt pour les invités. Les anciens coureurs, la plupart, ont participé au Tour de France, il y a toujours des chose à raconter, ils connaissent un peu mieux ce qui se passe à l’intérieur du peloton. C’est toujours intéressant pour les invités. »
La relation avec le directeur est particulière, vous faites combien de bornes par an avec lui ?
» J’en fais de moins en moins. Au tout début on faisait toutes les courses ensemble, et là maintenant, il a un agenda assez fourni et important aujourd’hui, il n’est plus sur toutes les coures. On fait Paris-Roubaix, les Ardennaises et le Tour ensemble. »
Vous pilotez d’autres directions de course ?
» Non. Quand Christian est là, c’est moi qui suis avec lui, on est tous les deux. Quand il n’est pas là, je ne conduis pas, j’ai une autre fonction dans la course. Je suis en assistance de direction. Là je suis à l’arrière, c’est complètement différent, mais c’est très intéressant aussi. »
Il y a une relation de confiance entre vous, ou c’est un film qu’on se fait ?
» Non, non, vous avez raison, c’est encore plus important pour lui que pour moi, parce que c’est moi qui conduis. C’est lui qui doit avoir encore plus confiance en moi, c’est moi qui ai les cartes en mains. Je ne vous cache pas que si j’étais passager, je ne sais pas comment je réagirais, notamment dans les descentes de cols, ou même dans les montées quand il y a vraiment beaucoup de monde parce que c’est oppressant. Il me l’a déjà dit, ouais, il y a une relation de confiance entre nous. »
Si la voiture spécifique que vous pilotez flanche, il y en a une autre…
» Il y en a une qui est complètement à l’arrière de la course, à la fin de l’échelon course, elle est toujours prête à intervenir, que ce soit pour la nôtre, pour celle de Thierry Gouvenou, qui est à l’arrière du peloton avec le président du jury. S’il y a un souci, il y a toujours cette voiture qui est prête à intervenir pour dépanner en urgence. »
Quels sont les critères, le cahier des charges pour concevoir une voiture du Tour de France ?
» Le toit ouvrant est situé à l’arrière, ce qui est inexistant dans les voitures de particulier. Le toit ouvrant est toujours à l’avant. Là, c’est vraiment un boulot du garage de chez nous, d’avoir modifié… Après, il y a toute la console radio à l’intérieur, à l’arrière, c’est hyper important. A l’échelon de course, toutes les voitures qui évoluent ont obligation d’avoir Radio Tour pour savoir tout ce qui se passe au niveau des écarts, qui est où, s’il y a des messages à faire passer, pour des voitures à faire dégager ou quoi. Il faut que tout le monde sache dans l’immédiat pour pouvoir réagir. »
Il y a peut-être un petit bar aussi à l’arrière ?
» Ben ouais, les journées sont longues, il y a entre entre 5 et 6 h, de route, donc il faut bien qu’il se ravitaille un peu. »
C’est usant physiquement et moralement de conduire cette voiture pendant trois semaines aux avant-postes ?
» Physiquement, c’est pas du tout usant, après l’avoir fait en vélo, il n’y a aucune comparaison. Il n’y a rien qui pourra être équivalent à le faire à vélo. Psychiquement c’est assez usant, il y a la gestion du public, c’est quand même particulier le Tour, avec le monde qu’il y a, il faut faire attention aux coureurs, mais faut faire attentions aux gens, il y a notamment beaucoup d’enfants et il y a toujours une crainte qu’il y en ait un qui traverse au dernier moment. Les grosses étapes de montagne, c’est hyper usant. Mais physiquement, on ne peut pas dire que ce soit difficile. Le faire à vélo c’est quand même autre chose, surtout quand on voit ce qui se passe depuis le départ, avec les chutes. »
C’est une reconversion que vous pouviez imaginer ?
» Quand j’ai arrêté, j’étais loin de m’imaginer que j’allais être de l’autre côté de la barrière et être dans l’organisation. En termes de reconversion je ne pouvais pas espérer mieux. Faire partie de l’organisation de la plus elle épreuve de vélo au monde… »
Vous avez eu votre mot à dire sur certains aménagements sur la voiture, avec votre expérience de pilote ?
» Non, la relation entre les gens de chez Skoda et les gens de chez nous qui gèrent le parc auto, au niveau du garage chez ASO, il y a un échange super important, et c’est là que ça se passe. La voiture, quand je la récupère, notamment quand ils changent de modèle, parce que je crois que c’est le troisième modèle de Superb qu’on a depuis le partenariat avec Skoda, j’ai jamais rien eu à ajouter. La voiture, elle a toujours été au top. Pour faire de la route, niveau confort… Christian est grand, moi je suis grand, il est assis derrière moi, et c’est un des gros avantage de cette voiture. Il y a un super confort et une place impressionnante à l’intérieur du véhicule.
Quand vous emmenez un chef d’Etat, vous êtes quand même au volant ?
» Oui, il y a une garde rapprochée de l’Elysée qui est là. Il y a un officier de sécurité qui est assis à côté de moi. Habituellement, il y a toujours deux invités avec nous. Il y a un dispositif particulier quand c’est le chef de l’Etat qui vient. Normal. C’est la moindre des choses, mais ça se passe bien. »
Des souvenirs particuliers au volant de l’auto ?
» Un des moments les plus délicats, ça reste l’étape des Pyrénées. Hincapie est échappé avec Ferrero en 2006 je crois en montée, un public de dingue et évidemment, dans toute cette masse de gens il y toujours a un abruti et là il a fallu que ça tombe sur moi. Un abruti qui est sorti du public pour courir à côté de la moto télé, et il ne trouve pas mieux que de tomber et faire tomber la moto télé de prise de direct, qui est tombée juste devant ma voiture. Il a fallu ne pas écraser les deux gars, qui étaient sur la moto de la télé. Aujourd’hui encore je ne sais pas comment j’ai fait, j’ai évité la moto, j’ai touché personne, évidemment c’était noir de monde à côté. C’est passé, ça reste un moment assez chaud et je crois que j’aurais encore le mec en face de moi je lui mettrais une claque parce que c’est du grand n’importe quoi. Lui, il s’est mis en danger, il a mis en danger les deux gars sur la moto, il a mis en danger la course parce qu’il y avait les coureurs avec nous, les coureurs intercalés juste derrière nous, on aurait pu bloquer toute la course. »
Ca reste un plaisir renouvelé chaque année ?
» Ouais. Ben ouais ! En plus, avec Christian aux premières loges pour voir la course, c’est la place idéale. Après, ça ne remplace pas le vélo. Même si c’est difficile, la meilleure place elle est sur le vélo, quelle que soit la place dans la course, même si moi, j’ai été plus souvent derrière sur les étapes de montagne. »
Coureur, vous aviez cette vision de la gestion des voitures ?
» Non, tu montes sur ton vélo, tu fais ta course, tu ne te rends même pas compte. A un moment donné il y tout ce ballet de véhicules ou de motos, qui doublent, qui redoublent, toute la journée, c’est comme ça et quand t’es sur le vélo tu ne fais même plus attention tellement c’est habituel. Et ce qui est encore plus étonnant, c’est tout ce qui a été mis en place au niveau de l’organisation. Quand t’es sur le vélo, tu ne te rends pas compte de tout ça. En revanche, quand tu arrêtes, tu passes de l’autre côté et là tu prends conscience de ce que c’est une organisation d’une course de vélo. Tout organisateur quel qu’il soit a les mêmes contraintes à échelle un peu moins moins grande. Là tu te rends compte que c’est pas facile. »
Pas de formation, même pour descendre l’auto à des vitesse assez folles dans les cols ?
» Non, après il faut garder à l’esprit que c’est une course de vélo, pas une course de voiture, c’est sûr qu’on descend assez vite pour ne pas gêner les coureurs. Après, il y a des gens dans la voiture. Il faut aussi que ces gens-là, quand ils sortent de la voiture, ne se disent pas « ils sont complètement tarés ». Il faut faire le mieux possible. Il n’y a aucune formation. C’est un peu les mêmes réflexes que t’as en vélo. »
La première fois que vous avez pris le volant, vous vous souvenez de l’état d’esprit ou vous êtes parti sans réfléchir à l’époque ?
» Avec Christian on a commencé a Paris-Roubaix 2004, on n’était pas en voiture rouge, à l’époque, il avait une voiture bleue un peu comme Bernard Hinault. La première fois c’était sur le Tour. On est partis comme ça. »
Paris-Roubaix et le Tour de France, c’est semblable dans la gestion de la course, ou la problématique poussière boue, et pavés peut compter ?
» Tu as bien ciblé le truc, c’est que Paris-Roubaix, c’est une des plus difficiles. Elle est difficile pour les coureurs et en voiture pour moi ça reste une des plus difficiles au niveau du stress. Tu as toujours cette contrainte suivant le temps avec la poussière, de ne pas gêner les coureurs, garder cette distance pour ne pas leur mettre de poussière, c’est deja assez difficile pour eux, pour ne pas en rajouter, et en plus t’as ces passages de secteurs pavés qui sont pour certains assez délicats, et tu as toujours la crainte de casser la voiture. Ouais, en plus, 250 bornes… Honnêtement, le soir, quand on arrive à Roubaix, qu’on pose la voiture, quand il y a le moment de décompression, pour moi ça reste la plus dure de l’année en conduite. »