Avec la liquidation judiciaire d’Heuliez, une belle page de la carrosserie française se tourne

Le tribunal de commerce de Niort n’ayant pas reçu, le 23 septembre dernier, d’offre ferme de reprise d’Heuliez SAS, il s’est rendu à l’évidence ce lundi 30, et a prononcé la liquidation judiciaire de l’entreprise de carrosserie, âgée d’un peu plus de quatre-vingt-dix ans. C’est la fin d’une histoire exceptionnelle, et d’une lente agonie qui concernait encore près de 290 salariés. Toutefois, un délai d’un mois est laissé à l’entreprise pour honorer ses dernières commandes. Et voir venir un repreneur si des négociations avec Volkswagen se décantent ?

Heuliez

L’histoire d’Heuliez avait tout du conte de fée, parti de l’atelier d’un charron, Adolphe Heuliez, dont le fils, Louis, se lance dans la fabrication de charrettes anglaises dès 1922. L’année suivante, il met au point le caoutchoutage des roues, et sort, en 1925, le premier fruit de son activité toute jeune de carrosserie : un break Peugeot 177B. En 1932, Louis Heuliez s’attaque à la fabrication d’autocars avec armatures en bois, et en acier à partir de 1936. Après la Seconde Guerre mondiale, Henri Heuliez reprend l’entreprise familiale et la fabrication d’autocars de tourisme, et de véhicules publicitaires. Un partenariat avec Citroën permet de développer les chaînes de fabrication de fourgons et d’autocars.

Heuliez carriole (3)

Dans les années 1960, Heuliez, qui a aussi connu son heure de gloire dans le mobilier scolaire avec la marque Robustacier, devient sous-traitant pour l’industrie automobile et produit des encadrements de portes, des soubassements. Vers 1974, virage important, Heuliez se diversifie dans les métiers de la carrosserie automobile et se lance dans les études, le design (Heuliez occupe un stand dans chaque grand salon automobile avec une nouvelle étude de style, et devient consultant pour les constructeurs), l’emboutissage, le ferrage et même l’assemblage de véhicules complets.

Les bureaux d’étude ont notamment accouché du restylage salvateur de la Citroën Visa, et de la création de l’Alpine GTA. En production, les caisses de Renault 5 Turbo, de Talbot VF2, de Citroën M35 et de Peugeot 205 Turbo 16 sortent de chez Heuliez, tout comme des voitures entières : les Citroën Visa Chrono, décapotable, Peugeot 604 et Renault 25 Limousine, Citroën BX 4TC, Citroën BX Evasion, Citroën XM break… L’aventure de la production des Citroën AX, Saxo et Peugeot 106 Electric au milieu des années 1990  tourne court, mais différents concepts à toit rétractable finissent par trouver un écho favorable chez Peugeot. Heuliez conçoit et produit les modules de toit rétractable de la 206 CC.

Peugeot 206 CC ciel bleu  Heuliez

Ce carton incite Opel à rester attentif à ce qui se passe chez Heuliez. En 2001, les premiers contacts entre le géant de Russelsheim et le carrossier de Cerizay aboutissent à la présentation d’une première étude en août. Toutes les étapes du développement (de la faisabilité à l’industrialisation et la production) de ce qui deviendra la Tigra TwinTop  reviennent à Heuliez, qui produit la première Tigra TwinTop de série avant l’été 2004. Quatre-vingt-dix mille voitures sont assemblées à Heuliez jusqu’en octobre 2009. C’est un demi-échec commercial. Au plus fort de sa collaboration à grande échelle avec différents constructeurs pour fabriquer des petites séries, Heuliez a employé, en 2004, jusqu’à 3.000 personnes.

Heuliez

Mais le déclin arrive très vite avec une véritable lame de fond qui décime l’industrie automobile. Pour des raisons de contraction des marchés occidentaux, de réduction de coûts, de flexibilité accrue des chaînes de montage, et d’usines qui tournent bien en-deçà de leurs capacités de production, la plupart des fabrication de niches sont rapatriées vers les sites de production des maisons-mères. Peugeot reprend à son compte la fabrication des modules de toit rétractable de la 207 CC. Opel ne donne pas de descendance à la Tigra TwinTop. Heuliez n’a pas droit non plus à la fabrication de l’Astra TwinTop. Heuliez ne désarme pas, et allonge depuis une vingtaine d’années la liste de concepts parfois spectaculaire : Intruder, Pregunta, Safrane Long Cours, ZX Vent d’Ouest, et, le dernier d’entre eux, la 407 Macarena, qui tentait d’ouvrir la voie aux coupés-cabriolets à quatre portes.

Peugeot 407 Macarena Heuliez

Les carrossiers en général sont les, victimes collatérales de ces évolutions stratégiques des grands constructeurs : Karmann en difficultés est repris par Volkswagen en 2009, tout comme Bertone, qui entre dans le giron de Fiat la même année. Heuliez ne parvient plus à maintenir la tête hors de l’eau, et se lance à fonds perdus dans la conception d’une petite voiture électrique, la Friendly, devenue la Mia. Les fonds promis par différents investisseurs (Argentum Motors, puis BKC) pour faire revivre l’entreprise n’arrivent pas, et en 2010, Heuliez, placé en redressement judiciaire pour la troisième fois depuis 2007, est sauvé de la liquidation par deux acteurs qui scindent l’entreprise : l’activité voitures électriques est reprise par des groupes allemands, Kohl et ConEnergy, pour donner naissance à Mia Electric, tandis que les activités historiques de carrosserie d’Heuliez sont reprises par le groupe français BGI, en juillet 2010. Les deux sociétés, indépendantes l’une de l’autre, continuent alors d’embaucher 500 personnes.

Heuliez à Cerizay

Mais BGI ne parvient pas à reconvertir Heuliez SAS. Faute d’un carnet de commandes suffisant, Heuliez est placé en redressement judiciaire au printemps 2013, au moment où il tient encore la corde pour remporter un gros contrat de fabrication de pièces détachées pour le groupe Volkswagen. La décision finale de VW tarde…Mais comment le géant allemand peut-il confier une grosse commande à une entreprise à l’avenir incertain ? Au terme de la période d’observation, pas un repreneur ne s’est manifesté. Il y a bien le groupe espagnol Cosmos XXI, en embuscade, prêt à se positionner seulement si la, commande VW se concrétise. Prise de risque limitée. L’Allemand annoncerait le nom de son nouveau partenaire vers le 15 octobre 2013. Or, comment VW peut-il confier un marché à une entreprise en état de liquidation ?

Reste enfin la piste de la société d’économie mixte mise en avant par le conseil régional de Poitou-Charentes. Une SEM qui permettrait de maintenir en état l’outil industriel pendant un certain laps de temps. Celui nécessaire pour que Cosmos et Volkswagen trouvent un accord ? Pour que cette SEM aboutisse, d’ici moins d’un mois, le capital doit être composé de 15 % de fonds privés. Le conseil régional de Poitou-Charentes s’est déjà positionné, et a délibéré en faveur de cette SEM.

Heuliez est donc officiellement mis en sommeil à compter du 1er octobre, et dispose d’un délai d’un mois pour livrer ses derniers clients. Si la SEM est portée sur les fonds baptismaux, elle retiendrait une quinzaine de salariés chez Heuliez à partir du 1er novembre.

A Cerizay, trois sites indépendants les uns des autres restent en activité sur les ruines de l’ex-ensemble Heuliez : Mia Electric (210 employés), l’usine de fabrication des automobiles sans permis JDM, et l’activité cabines d’hélicoptères, cédée l’an dernier par BGI à EADS. La célèbre tour H, inaugurée en grandes pompes il y a vingt ans, est vite devenue le symbole d’un échec, plutôt que du triomphe.

A lire également : tous nos sujets consacrés à Heuliez

Une réflexion sur “Avec la liquidation judiciaire d’Heuliez, une belle page de la carrosserie française se tourne

  1. C’est vraiment dommage que les politiques ne se soient pas mélés du cas de cette entreprise Française. Des solutions auraient pu être trouvées. Heuliez est quand même une marque Française historique, et les pouvoir publics ne font rien face à la mondialisation du milieu automobilie.

    J’espère vivement qu’une solution sera trouvée pour faire repartir cette entreprise.
    Merci d’avoir mis en lumière Heuliez.

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s