Depuis la Citroën DS en 1955, pas une voiture n’avait autant marqué de son empreinte un Salon de Paris. Au Mondial 1992, en l’occurrence, une auto venue d’ailleurs a quasiment éclipsé tous les autres exposants : la Renault Twingo. Le phénomène a tellement duré que la « grenouille » a pris sa place dans le cercle de celles qui ont marqué leur époque. C’était loin d’être gagné.
Ridiculisée, limite humiliée. En ce début de mois d’octobre 1992, la bête qui doit booster l’image de Renault passe quasiment inaperçue. Sur le stand, la Safrane Biturbo Baccara, V6 gonflé à 260 chevaux par Hartge, quatre roues motrices, et look revisité par Irmscher, est quasiment ignorée.
Le public n’a d’yeux que pour un petit bonbon coloré de 3,43 m de long, annoncé à moins de 55.000 francs. Le choc des extrêmes. Il faut dire que la vitrine du luxe à la française n’a pas eu droit, quelques semaines plus tôt, au JT de 13 heures d’Antenne 2 et à des dizaines de lignes dans la plupart des quotidiens français. La Twingo, elle, a eu droit à cette notoriété soudaine avant même sa présentation officielle, quand fut seulement dévoilé son nom définitif, illustré, par chance, par l’image d’un exemplaire noir totalement décamouflé, laissant apparaître le visage d’une petite révolution automobile. Le nom est décalé, le look de la petite dernière aussi. De quoi susciter la curiosité, qui s’est transformée en raz-de-marée à la Porte de Versailles, début octobre 1992.
Quatre voitures étaient « protégées » sur le podium, en hauteur, et les autres, sur le stand, littéralement prises d’assaut. Il fallait faire la queue pour mettre le nez dans l’habitacle ! Moins de trois ans plus tôt, fin 1989, l’équipe chargée de bosser, chez Renault, sur le programme X-06, n’imaginait sans doute pas un tel scénario. Peut-être l’avait-elle rêvé, après avoir digéré quelques contraintes du cahier des charges : un budget restreint, de moins de 3,5 milliards de francs (Citroën a dépensé plus de 7 milliards pour concevoir la XM), et un dossier à boucler en trente-trois mois, tout en rendant une copie rentable.
Il se dit que le projet, lancé par le PDG de Renault de l’époque, Raymond Lévy, repose sur un autre enterré trois ans plus tôt, et sur une maquette au style signé Jean-Pierre Ploué, qui reprend le « monovolume » développé par Matra, pour l’Espace, commercialisé par Renault en 1984. En 1989, donc, le projet W-60 est ressorti du grenier. L’innovation est là : le concept du monospace appliqué à la petite voiture, pour offrir un espace habitacle plus vaste et plus pratique que la moyenne. Pari risqué s’il en est. Au début des années 1990, dix doigts suffisent pour dénombrer les monospaces (ou approchants) présents sur le marché français : le Renault Espace, le Toyota Previa, le Chrysler Voyager, le Pontiac Trans Sport, et, plus compacts, les Nissan Prairie et Honda Shuttle.
Alors, quitte à briser les codes de la catégorie des citadines, Renault joue le jeu à fond, et parvient à sauver son projet interne, mis en concurrence avec celui également sous forme de monospace, de Marcello Gandini, à qui est attribuée la paternité des Lamborghini Countach et Citroën BX.
Le style jovial du projet X-06 se retrouve à l’intérieur, avec une planche de bord à l’architecture nouvelle, faisant appel à une instrumentation digitale en position centrale.
Techniquement, la course à l’économie remet dans la course un vieux moteur connu de l’ex-Régie, un « Cléon fonte » modernisé, avec catalyseur et injection monopoint, devant permettre de sortir occasionnellement des villes. Ce sera un 1.239 cm3 (5CV) de 55 chevaux à 5.300 tr/mn, offrant un couple de 9,3 mkg à 2.800 tr/mn couplé à une transmission simple à cinq rapports. Suffisant pour déplacer 790 kilos à vide.
La copie rendue, c’est donc la Twingo, qui, sur le fond, n’invente rien, mais ose des associations inédites, et multiplie les astuces : les roues repoussées aux quatre coins, c’est connu. La carrosserie de monospace aussi, mais jamais le tout n’a été associé et condensé dans 3,43 m. C’est dix centimètres de moins que l’une des plus petites voitures françaises de l’époque, la Citroën AX.
Rien que des rondeurs, dont deux globes en guise de feux avant. Le « regard » de la Twingo, simple, percutant et jovial, fait mouche. Il charme ou rebute, mais ne laisse pas indifférent. Les pare-chocs fixés par des vis apparentes, rappellent la simplicité de deux autres autos françaises entrées dans la légende. Il y a aussi ces trois prises d’air sur le court capot, l’essuie-glace unique à pantographe, et l’antenne radio fixée sur le rétroviseur gauche. Les poignées de portes, elles, sont nichées derrière un pli de carrosserie rond.
Fâcheux pour une citadine, les protections latérales sont absentes, et disponibles en accessoire. D’autres économies sont plus enquiquinantes : le rétro droit, livré de série, n’est pas réglable de l’intérieur. Le hayon, sans bouton poussoir, ne peut être ouvert qu’avec la clé. L’essuie-glace avant ne dispose même pas d’intermittence.
Le meilleur est à l’intérieur, malgré une homologation pour quatre places uniquement, et seulement trois portes. L’habitacle, promis gigantesque, l’est réellement, surtout à l’arrière, sans retrouver la position surélevée habituelle des monospaces. Le secret, c’est la banquette arrière coulissante (une belle victoire sur les économies) sur 17 centimètres, aux dossiers rabattables par moitié. Les sièges reculés au maximum ne libèrent que 168 litres de coffre, mais permettent un espace arrière aux jambes inédit… dans plusieurs catégories. La plage arrière se replie judicieusement contre le hayon quand celui-ci est relevé.
Inédite, aussi, la position « couchettes », et le tissu bariolé nommé Soho (bleu à motifs rouges et verts) qui habille les sièges, tandis que plusieurs « commandes » sont vert pastel : les poignées de portes, les commandes de ventilation, le couvercle de cendrier (unique) à l’arrière, les commandes de réglage et de bascule des sièges avant, celles qui règlent l’ouverture des ouïes d’aération, l’allume-cigares, et l’ouverture du capot. Difficile, enfin, de louper la commandes de feux de détresse, façon « nez de clown ». Un petit vent de folie souffle dans l’entrée de gamme Renault, qui compte à son catalogue, en 1992, la Renault 4, la Renault 5 (toutes deux en fin de vie) et la Clio.
Le marketing et les économies se sont rencontrés en décidant que la Twingo irait à contre-courant de la tendance des multiplications des versions : la « grenouille » n’aurait qu’un seul moteur, une seule finition, et quatre couleurs : bleu outremer, rouge corail, jaune indien et vert coriandre. Les options ? Limitées. Les couleurs brume, noire nacré, rouge nacré, ainsi que le toit ouvrant en toile et la climatisation, qui entraîne l’adoption d’une boîte de vitesses courte impliquant une puissance fiscale de 6 CV.
Au Mondial 1992, tous ces secrets sont révélés au public, mais personne ne sait ce que vaut la Twingo pour la route. Ce qui n’empêche pas Renault d’engranger un peu plus de 2.000 réservations en dix jours, alors que le prix définitif n’est pas connu (annoncé à moins de 55.000 francs), et que la commercialisation n’interviendra que six mois plus tard. En avril 1993, on parle de 9.000 à 15.000 réservations enregistrées, avant la révélation du tarif : 54.000 francs… et zéro remise. Ce qui correspond à peu près au degré d’équipement de série, outre les vitres teintées, l’essuie-glaces arrière, les deux rétros extérieurs et la banquette arrière coulissante.
Ce succès sur « papier » était-il un feu de paille ? Pas le moins du monde, même si une nouvelle présentation au Salon de Genève se révèle moins démente qu’à Paris. Il faut dire qu’à Genève, en 1993, il y a du beau linge parmi les premières mondiales : la Citroën Xantia, la Ford Mondeo, l’Opel Corsa, la Peugeot 306…
L’univers coloré et optimiste de la Twingo, poussé par une campagne de pub judicieuse (des dessins, une musique gaie… et la voiture qui n’est même pas montrée dans les premiers spots) ainsi que ses qualités intrinsèques, installent rapidement la grenouille de Billancourt dans sa catégorie, sévèrement dépoussiérée. Si elle avait eu cinq portes, la Twingo aurait sans doute prétendu à la succession directe des 4CV et 4L. Simplicité, bon sens, solutions éprouvées.
Malgré un moteur bruyant, et malgré le concept de finition unique… qui ne tient pas longtemps, la Twingo devient vite une valeur sûre, savamment entretenue par Renault, qui n’a pas lâché sa dernière née dans la nature. Renault donne quasiment rendez-vous, tous les deux ans, pour une nouvelle « collection », qui passe, dès le début de 1995, par l’adoption d’une finition Pack, enrichie des vitres électriques, des rétros à réglage électrique, et du verrouillage centralisé à distance. Les selleries et couleurs de différentes commandes sont à chaque fois renouvelé : du bleu foncé en 1995, du gris en 1997.
La technique n’évolue pas, jusqu’à l’arrivée d’une version Easy en 1995. Elle supprime la pédale d’embrayage, mais pas le passage des vitesses classiques, grâce à un capteur dans le levier. Une semi-automatique, qui a le bon goût d’être économique, puisque vendue seulement 2.500 francs de plus qu’une Twingo Pack, et gagnant au passage la sellerie velours « Cumulus ».
En 1997, la Twingo de troisième collection troque son vieux moteur Cléon fonte pour le « D », arrivé un an plus tôt sur la Clio : 1.149 cm3 et 60 chevaux, un bloc moderne qui abaisse largement la consommation et le niveau sonore. La direction assistée, en option à 3.000 francs, apparaît.
En 1999, la Twingo a droit à son premier lifting… après six ans de carrière, quand certaines autos sont poussées à la pré-retraite. Les boucliers avant et arrière sont nouveaux, et partiellement peints sur les versions haut de gamme, puisque la Twingo affiche dorénavant trois niveaux de finition. Les feux arrière sont redessinés, et de nouveaux enjoliveurs de roues apparaissent. Le toit ouvrant reste panoramique, mais peut être vitré et à commande électrique.
La planche de bord (avec volant trois branches) et le dessin des sièges sont entièrement revus. Les radios optionnelles peuvent être pilotées avec une commande sous le volant. Cette collection-là opte pour deux motifs de sièges différents (maille Lucy ou velours écossais, selon les finitions) et des commandes jaunes. La Twingo s’offre véritablement une gamme, avec une version automatique (la Matic, à trois vitesses), et une Initiale, avec jantes alu de série et sellerie cuir.
En 2001, après huit ans de carrière, la Twingo se s’essouffle toujours pas. Nouveau restylage dans la besace, plus profond qu’il n’y paraît. Une nouvelle intégration des antibrouillards dans le bouclier avant gomme les aspérités, et les feux avant gagnent une glace lisse en polycarbonate, et nouveaux fonds. Les rétros peuvent être peints, et toutes les Twingo sont montées sur des pneus de 14 pouces, lui offrant une belle assise visuelle, confirmée sur la route par l’adoption, entre autres, d’une barre anti-roulis à l’avant, et d’un freinage revu (diamètre des disques ventilés augmenté à l’avant), plus mordant. La boîte auto classique est supprimée au profit d’une boîte robotisée, nommée Quickshift.
Des prestations routières à la hausse, appuyées par l’arrivée d’une culasse à seize soupapes sur le moteur « D ». Avec 75 chevaux et un couple qui grimpe à 105 Nm à 3.500 tr/mn (contre 93 à 2.500 tr/mn pour la 1.2 60 chevaux), la Twingo se sent pousser, des ailes, et s’offre un équipement de grande, sur la finition Privilège, avec climatisation en série et sellerie velours personnalisable en gris, rouge ou bleu avec appuie-têtes à l’arrière ! Une Twingo 16V qui aura le vilain défaut d’être excessivement bruyant sur les grands axes. Le nombre de commandes colorées se réduit, et la nuance lie de vin commence à se faire discrète.
Après 2003, les collections de la Twingo la font évoluer par petites touches. Commandes bleu ciel, nouveau pommeau de levier de vitesses, nouvelle commande d’ouverture du hayon avec le Losange, nouveaux enjoliveurs de roues et lamelle sous le bouclier avant… Il a fallu plus de dix ans pour que Renault daigne lui offrir, en série, des baguettes de protection latérales !
Mais la désormais mamie, bien que toujours actuelle, a résisté fièrement encore et toujours à l’envahisseur : le moteur diesel ! L’idée a peut-être effleuré l’esprit des ingénieurs du marketing, mais les vrais ingénieurs ont dû leur rappeler la (très) petite taille du compartiment moteur… qui, sur un autre registre, a dû jouer des tours à la Twingo. Cette allure de monospace lui a conféré à tort une image de voiture peu sûre en cas de choc, avec un capot aussi court, et donc une zone d’absorption estimée limitée.
Bien que vendue à environ 2,4 millions d’exemplaires entre 1993 et 2007, au terme de quatorze années de commercialisation (soit deux générations d’autos, en théorie), la Twingo est restée, pour Renault, une auto un peu trop « française », commercialement parlant. Malgré sa longévité exceptionnelle, elle n’a pas trouvé son public à l’international. Et ce n’est pas le choix économique de la priver de conduite à droite (pour réduire les coûts de conception) qui sont en cause. Ce qui, au demeurant, n’a pas empêcher bon nombre d’Anglais de se lancer dans le business des importations de Twingo au coup par coup, pour satisfaire une demande outre-Manche !
Privée de variante sportive, la Twingo a su afficher la naïveté, la sympathie et l’innocence de glorieuses ancêtres, aidée parfois d’une ribambelle de séries spéciales : Alizé (climatisée), Jungle (avec direction assistée), Air puis Sari (coucou le toit ouvrant en toile !), Kenzo (ah ! la sellerie en « fleurs »), Elite (et l’inédite teinte marron-gris), Cinetic (avec la boîte Quickshift), Benetton, Fidji, Perrier, Kiss Cool, Emotion…
Devenue icône, la Twingo première génération a filé un sacré mal de crâne aux designers de Renault pour lui trouver une descendante. Mission ardue et partiellement loupée quand est apparue la Twingo II en 2007. Trop fade, trop consensuelle pour être moins « clivante ». Moins charmante du coup, malgré des prestations routières nettement améliorées. Même la banquette arrière coulissante a disparu sur les versions de base. Seul hommage à la Twingo 1 : la forme de la coquille de portière…
L’affaire est rentrée dans l’ordre avec le restylage très réussi de 2012, mais la chaîne a été quelque part rompue. Renault aurait-il dû s’abstenir de lui fabriquer une succession directe ? Difficile de faire oublier une auto aussi bien installée dans le paysage. Avec quatorze ans de présence sur le marché sans vraiment connaître de désamour, la Twingo fait un peu partie de la famille !