RETRO – La saga Hotchkiss, quand l’Histoire flirte avec la légende

PAR PIERRE HUGONNAUD

L’ami Pierre Hugonnaud s’est penché sur le cas d’Hotchkiss. L’histoire d’un homme d’affaire américain, qui est venu poser ses valises en France, pour y laisser une marque et des autos exceptionnelles.

Hotchkiss 412

Benjamin Berkeley Hotchkiss est un contemporain de l’homme qui n’a jamais eu peur : Davy Crockett, mort le 6 mars 1836 au siège de Fort Alamo. Benjamin voit le jour le 1er octobre 1826 à Watertown dans le Connecticut. Ses origines sont anglaises. La tannerie familiale ne lui permet pas de poursuivre ses études scolaires, il entre donc en apprentissage au sein d’un atelier de mécanique. Il intègre ensuite la manufacture d’armement d’un certain Samuel Colt, à Paterson, dans le New Jersey. Avec son frère Andrew à Sharon dans le Massachusetts, il fonde une petite usine de munitions et d’armes à canons rayés équipés d’un chargement par la culasse.

A cette époque, le Mexique, alors secoué par de nombreuses révolutions, devient l’un de ses principaux clients. En 1860, les Etats de l’Union, présidés par Abraham Lincoln, lui achètent sa production. C’est le début d’une guerre fratricide contre les onze Etats de la Confédération du Sud, qui venaient de déclarer leur sécession aux Etats-Unis d’Amérique. Comme tous bons marchands d’armes en période trouble, Hotchkiss fait fortune et transfère son affaire à New York. Au passage, il en profite pour vendre quelques brevets à la Winchester Repeating Arms Company.

Benjamin Hotchkiss

Le Vieux Continent, lui aussi, est victime des rivalités entre les puissants de ce dernier tiers du 19e siècle. Benjamin Berkeley Hotchkiss arrive en France en 1867. Notre industriel américain s’installe tout d’abord à Viviez dans l’Aveyron, avant de rejoindre le quai de Jemmapes à Paris. Au matin du 19 juillet 1870, le royaume de Prusse et le second empire français entrent en guerre. Les coffres de la Hotchkiss Company grossissent à vue d’oeil. Enfin en 1875, il fonde une usine boulevard Ornano à Saint-Denis et adopte définitivement comme emblème les deux canons croisés surmontés d’une grenade et entourés d’un ceinturon. Le 4 février 1885, terrassé par une crise cardiaque à l’âge de 59 ans, il s’éteint dans son hôtel particulier tout près des Champs-Elysées dans le 8e arrondissement parisien. Notre homme d’affaires, qui possède une immense fortune et des agences partout dans le monde, ne saura jamais que son nom est resté gravé sur les calandres d’automobiles françaises jusqu’en 1954.

Hotchkiss 412

Nous sommes donc en 1885. Eugène et Armand Peugeot fabriquent la bicyclette équipée d’une transmission par chaîne et inventent le tricycle motorisé. Henry Ford répare des machines agricoles dans le comté de Wayne, non loin de Détroit. Au lycée Condorcet dans le 9e arrondissement, Louis Renault vient d’obtenir son baccalauréat et André Citroën prépare le sien. Enfin, Ferdinand Porsche n’a que 10 ans et use ses fonds de culottes à l’école de Maffersdorf en Bohême. Seuls Louis François René Panhard et Emile Constant Levassor exploitent les prémices du moteur à explosion tout en développant les rudiments de l’industrie de l’automobile.

L’histoire du nom Hotchkiss aurait bien pu disparaître, mais ce n’est sans compter sur l’opiniâtreté de plusieurs collaborateurs de ce capitaine de l’industrie désormais disparu. Dés mai 1886, Jacques de Latouche, Théodore Favarger et Christian Koerner dénichent des appuis financiers chez le groupe Mann en Angleterre. En 1887, la famille du défunt cède ses participations aux investisseurs anglais. Deux sociétés voient ainsi le jour : la « Hotchkiss Ordnance Cy Ltd » comme maison souveraine et les « anciens établissements Hotchkiss et Cie » comme filiale à la française. Les milliers de livres sterling et les millions de francs sont donc au rendez-vous en cette fin de 19e siècle, mais aussi un certain et indispensable savoir faire Hotchkiss : « tout produit sortant des ateliers de BBH. se doit être d’une qualité irréprochable« .

Laurence Vincent Benet grand patron du département automobile

Dès 1901, les ateliers fabriquent des pièces mécaniques pour Eugène De Dietrich, Panhard et Levassor, De Dion Bouton, Charron Girardot ou encore Rochet Schneider. Tout naturellement, la société aux origines anglo-saxonnes se lance, dès 1905, dans la fabrication d’automitrailleuses. C’est à la même époque que Laurence Vincent Benet devient le grand patron du département automobile de l’usine de Saint-Denis. Il le restera jusqu’en 1935. La première 20 CV pointe sa calandre dès 1904. Le moteur est un quatre cylindres à soupapes latérales. Sa production est fixée à 15 voitures par mois en trois carrosseries luxueuses, dédiées à la bourgeoisie de l’époque : le phaéton, le landaulet et le coupé.

Hotchkiss

Ensuite, la gamme s’étoffe par la 25 CV, la 30 CV et la 40 CV, toujours équipées par le même bloc moteur avec un alésage plus important. Sous l’impulsion de Laurence Vincent Benet, la type E au nez de dauphin se lance dans la compétition suivie de la type HH aux pointes de vitesse de 150 km/h. Au salon du Grand Palais de 1907, Hotchkiss présente sa 60 CV et cette fois-ci avec un 6 cylindres sous le capot. En 1908 et pour respecter l’image de robustesse de la marque, les ingénieurs abandonnent le vilebrequin à billes pour celui à paliers lisses et une pompe à eau alimente désormais le circuit de refroidissement. En 1909, la 50 CV est équipée du tout nouveau 9,5 litres de cylindrée. La type Z, 12/16 CV avec un moteur de 2,2 litres, apparaît en 1910 ; puis c’est le type AF 18/24, doté d’un 3967 cm3, qui équipa les états-majors de l’armée française pendant la Grande Guerre.

A noter qu’en avril 1914, Raymond Saulnier utilise pour la première fois une mitrailleuse Hotchkiss synchronisée sur l’hélice de son avion. En 1919 et après avoir réarmé en partie l’armée française, Hotchkiss redémarre son secteur automobile avec la troisième série du type AH, la 18 CV. Cette voiture, aux rondeurs discrètement luxueuses, est équipée d’un 4 cylindres fiable et économique. Durant ces années folles où la démesure règne dans les salons parisiens, les ingénieurs du boulevard Ornano dévoilent le fabuleux type AK 30 CV ; celui-ci s’impose comme le concurrent direct de la 32 CV d’Hispano-Suiza équipée d’un moteur de Marc Birkigt. l’AK dispose d’une cylindrée de 6,6 litres, d’un embrayage à disque et d’un système de freinage sur les quatre roues. Pour la seule et unique fois chez les automobiles Hotchkiss, la conduite est à gauche.

Hotchkiss 412

Derrière les appellations du types Z, AB, AC, AD, AF, AG, AH, AK, AL, 4xx, 6xx, 8xx, PN, GS, plusieurs moteurs aux différentes cylindrées et plusieurs modèles tels que le coupé, le cabriolet, la conduite intérieure, le torpédo, le coach, s’imposent. Après l’AK, ce fût l’AM 12 cv puis l’AM 2 avec un retour vers la sagesse et vers un juste milieu. Grâce à cette dernière, le constructeur français traverse tant bien que mal la crise de 1929. De 1925 à 1933, Les usines Hotchkiss distribuent plus de 20 000 exemplaires de l’AM2.

La 20 CV, la petite bourgeoise, détrône la Delahaye 135M dès 1935. Les types PN, GS 680 et 686 vont terminer ces années de partielle réussite jusqu’en 1939, pour réapparaître après la deuxième guerre mondiale et de disparaître définitivement avec la marque en 1954. En 1936, les modèles dits de luxe sont toujours tendance avec le cabriolet 686 Biarritz ou la conduite intérieure Chantilly, la Vichy, la Longchamp, l’Antibes, la Baule. la Cabourg, coach Côte d’azur, Modane, et Monte-Carlo, coupé Megève … les modèles 411, 412, 480 sont destinés à une clientèle moins fortunée.

Hotchkiss 412

Même si Hotchkiss traverse sans sombrer les années 30, la dévaluation de 25 % du franc en septembre 1936 et l’occupation allemande auront des conséquences néfastes pour la décennie 1940. A l’époque, le président H.E. Boyer injecte beaucoup de capitaux de la firme pour lui maintenir la tête hors de l’eau. Heureusement par les ventes d’armes, le deuxième conflit planétaire va temporairement renflouer financièrement Hotchkiss et gommer les effets de la dépression d’avant guerre. Mais voilà, dès 1950, un vent nouveau souffle des Amériques vers une Europe encore dévastée et soutenue. Malgré l’intervention de l’ingénieur polytechnicien Jean-Albert Grégoire, des alliages en aluminium et du joint sphérique double cardans Tracta, la situation de la société frise le désastre.

Hotchkiss 412

Les usines de Saint-Denis ne produisent qu’un seul modèle, la 20 CV, dans une France rationnée notamment en essence. Renault vient de sortir sa 4 CV, Panhard sa Dyna, Citroën sa 2CV et Peugeot sa 203. Cette 20 CV est vendue essentiellement aux divers services de l’Etat. Les dernières tentatives de la marque aux canons croisés sont les modèles Anjou, Hotchkiss/Grégoire et Monceau. Hotchkiss cherche à suivre le style américain avec des formes plus arrondies et des équipements plus modernes. Au Salon de Genève de 1953, une Hotchkiss/Grégoire de 2050 cm3 s’affiche à 1 580 000 francs alors que la Citroën Traction 15 six cylindres est vendue à 869 920 francs. En 1954, Hotchkiss fusionne avec Delahaye et collabore avec Willys/Overland pour la fameuse Jeep. En octobre de la même année, son PDG Paul Richard décide d’abandonner le secteur automobile grand tourisme. Ainsi s’arrête l’histoire du nom du contemporain de Davy Crockett.

Hotchkiss 412

Voilà, succinctement raconté plus d’un siècle de l’histoire du nom Hotchkiss. Cette société a brillé également dans le transport autoroutier avec ses camions PL20, PL60, PL 70, ses autocars et ses autopompes ; dans le département militaire avec ses transports de troupe, sa Jeep Hotchkiss 102 et sa Jeep Hotchkiss-Willys, ses chars H35, H39, ses chenillettes SP8, SP10 et VPX. Côté compétition, les Hotchkiss ont remporté six victoires au rallye de Monte-Carlo (1932, 1933, 1934, 1939, 1949, 1950). En août 1944 et ne voulant pas parader dans un véhicule américain ou anglais, le général De Gaulle défila dans le Paris libéré à bord d’un cabriolet Hotchkiss. C’est aussi avec un cab Anthéor Hotchkiss que l’on put apercevoir le grand homme à Alger en 1958.

L’automobile présentée dans cet article est une 412 de 1932, fabriquée à 134 exemplaires. Ce modèle, à l’étude depuis 1928, a été rapidement abandonné. Exposée au salon du Grand palais de 1933, elle devait succéder à la célèbre AM2. Elle est animée par un moteur 4 cylindres à soupapes en tête de 2,4 litres, assisté d’une boîte à quatre rapports synchronisés.

Retrouvez ici tous les articles rétro de Pierre Hugonnaud…

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