Fiscalité du gazole, bonus écologique, prime à la casse… Pourquoi c’est un merdier inextricable

Pour l’Organisation mondiale de la Santé, les émanations de gaz des moteurs diesel sont cancérogènes. La Cour des comptes, elle, recommande d’étudier un alignement progressif du niveau de taxation du gazole sur celui de l’essence. De quoi agacer les automobilistes français qui n’ont jamais autant aimé rouler en diesel. L’Etat, lui, se retrouve avec un rocher dans la godasse, et le nez face à des contradictions. Bref, c’est le bordel.

Suzuki Kizashi

1. La recommandation de la Cour des comptes

Pour la Cour des comptes, la différence de taxation entre le gazole et l’essence représente pour l’Etat un manque à gagner estimé à 6,9 milliards d’euros. Favorisé par une taxation moindre, le gazole qui nourrit les moteurs diesel jugés plus polluants que ceux à essence, va à l’encontre du Plan particules de 2010, estime la Cour des comptes. Bref, non seulement l’avantage fiscal octroyé à ce carburant depuis les années 1950 pour aider les professionnels de la route, prive l’Etat de ressources, mais en plus, il a aidé à développer une forme de pollution. La Cour des comptes recommande donc d’étudier un alignement progressif de la taxe intérieure sur la consommation des produits énergétiques du gazole sur celle de l’essence. Si la recommandation de la Cour était un jour réellement envisagée par l’Etat, elle rendrait à coup sûr furieux les automobilistes français : en 2013, 73 % des voitures vendues en France sont des diesel.

2. L’Etat piégé par un bonus/malus « écologique » mal foutu qui a favorisé le diesel

USINE RENAULT DOUAI

Si un jour l’Etat songeait revenir sur la fiscalité avantageuse du gazole pour des raisons écologiques, entre autres, il aurait des difficultés à défendre le bonus/malus soit disant écologique. Il l’a bâti sur l’unique critère des émissions de CO2, et pas sur la prise en compte des émissions d’autres polluants, comme le dioxyde d’azote. Il a donc favorisé de plus belle l’achat de véhicules à gazole (l’offre étant plus abondante que les hybrides et les électriques), et quasiment organisé la désaffection pour les modèles à essence.

Bonus et malus jouant sur les prix d’achat, gommant tout ou partie du surcoût des modèles diesel par rapport aux essence, les consommateurs ont privilégié le diesel avec l’illusion d’une rentabilité rapide, tirée par une consommation moindre et un prix à la pompe moins lourd. A ce petit jeu-là, le gazole a séduit même les petits rouleurs et les citadins. Or, c’est dans ces cas de figure que les moteurs diesel polluent le plus, s’ils n’ont pas le temps de monter en température, rendant même les filtres à particules contreproductifs.

S’il devait maintenant payer son gazole plus cher par le seul fait d’une hausse (hypothétique, rappelons-le) des taxes, l’automobiliste aurait la nette impression de s’être fait bananer par un Etat qui a développé des mesures incitatives aboutissant à des ventes massives de voitures diesel.

3. Une prime pour éliminer les vieux diesel ?

Elle serait donc à l’étude, la « prime de transition » qui inciterait à mettre au rebut les vieilles voitures à gazole (de plus de douze ans). Alors là, c’est brillant ! L’Etat a favorisé par les taxes le gazole, se privant de ressources fiscales. Et il pourrait dépenser de l’argent pour se séparer d’autos qu’il a contribué à mettre sur le marché. Une logique difficile à cerner, sans oublier le système de bonus/malus lui aussi coûteux pour l’Etat, qui a également contribué à vendre des autos plus polluantes que prévu, et qui, dans quelques années, deviendront vieilles, déréglées, et trop sales pour les normes futures. Dans quelques années, il « faudra » sortir du chapeau une coûteuse prime pour casser des autos « aidées » par l’Etat.

Le deuxième effet Kiss Cool des primes, c’est la mise sous perfusion du marché à rythme régulier depuis une quinzaine d’années, provoquant un rajeunissement soudain du parc automobile, allant à l’encontre des cycles classiques de remplacement des véhicules. Ces cycles en question provoquent des hausses rapides de ventes, suivies de dépressions qui ne donnent plus aucune visibilité à long terme, sans oublier un marché de l’occasion complètement déstructuré, qui oblige les vendeurs à casser les prix pour écouler leurs stocks d’occasions récentes, et donc fragilise leur santé financière.

4. Les constructeurs peuvent-ils reprendre la main ?

Nissan Qashqai Tekna 1.6 dCi 130

Pourquoi les constructeurs français ont tout misé sur le diesel pendant de longues années ? Grâce à la particularité bien française de privilégier fiscalement le gazole, et que le marché français avait encore une place prépondérante sur l’échiquier des marques. Mais ça, c’était « avant »… Les constructeurs français ont toujours connu des difficultés en dehors des frontières de l’Europe de l’Ouest. D’autres constructeurs davantage présents à l’international, où les moteurs à essence sont toujours très demandés n’ont pas délaissé cette technologie, et ont, du coup, parfois, accentué leur avance. A l’image des Allemands (BMW, Mercedes, présents aux Etats-Unis) ou des Japonais présents sur des marchés friands d’essence, et où la fiscalité ne favorise pas le gazole.

Par ailleurs, longtemps les constructeurs présents  et qui réussissent dans le haut de gamme ont cultivé les mécaniques « nobles » et à caractère, et ont donc maintenu ou accru une avance technologique en la matière, avant de succomber eux aussi, sur le tard,  au gazole (Porsche, Jaguar…). La dieselisation du haut de gamme est arrivée plus tard que dans les segments inférieurs.

Les normes Euro 6 contraignantes pour le diesel risquent par ailleurs de faire le ménage. Elles obligent les constructeurs à adopter des solutions technologiques coûteuses. Certains commencent à renoncer au gazole, pour maintenir des prix acceptables, surtout sur des citadines, qui en théorie ne parcourent pas plus de 15 000 km par an : les Volkswagen up !, Opel Adam, Nissan Micra ne proposent pas de diesel.

5. Que reste-t-il au diesel ?

Agrément, performances et consommation des moteurs diesel modernes, qui progressent constamment, en font parfois des choix indiscutables, par rapports aux moteurs essence, sur certains segments de marchés, quand certains constructeurs font le choix délibéré de réduire leur gamme à essence à peau de chagrin. Le tout pour un surcoût certain, qui a moins d’impact psychologique quand il est dilué dans un crédit sur deux, trois ou quatre ans. Alors que le surcoût d’un plein d’essence, régulier, à la pompe, paraîtra moins acceptable, par rapport à la une facture de gazole.

En France, tant que cette connerie de bonus/malus restera en vigueur, et que la taxation sera moins défavorable que pour l’essence, le diesel gardera son leadership… parfois injustifié du fait d’une rentabilité incertaine ou mal calculée, ne tenant pas compte de coûts d’entretien plus élevés, par exemple.

Les progrès des moteurs essence (downsizés et turbocompressés) et un éventuel développement des offres hybrides (voire électriques) seront-ils de nature à bouleverser un rapport de forces déséquilibré savamment entretenu depuis des dizaines d’années ?

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