Will Smith et Martin Lawrence sont des putains de nihilistes. Leur came, c’est la théorie du chaos. Hors de la destruction, point de salut. C’était le cas dans Bad Boys, sorti en 1995, où leurs enquêtes contre les méchants trafiquants de drogue se soldaient immanquablement par explosions, engueulades, fusillades, courses poursuites assaisonnées de tchatche et de frime. Huit ans plus tard, les revoilà donc, Mike Lowrey et Marcus Burnett, jouant les Attila de la police de Miami.
Sauf que le divertissement de 1995 a été gangréné par la théorie du II. C’est-à-dire deux fois plus de cascades, deux fois plus d’explosions, des héros deux fois plus fêlés qui gueulent deux fois plus fort sur un scénario deux fois plus improbable. Ah, on appelle ça la surenchère ? C’est que l’équipe de Jerry Bruckheimer, comptant ses dollars engrangés grâce à Bad Boys, a gambergé pour pondre Bad Boys II.
Les scénaristes ont bossé d’arrache-pied. Ceux qui ont tenté d’introduire un tantinet de psychologie et un chouia de finesse ont été virés. « Si on racontait l’histoire de deux flics que tout oppose mais qui font équipe, qui pourchassent un trafiquant de drogue complètement cintré, et qui a en plus le mauvais goût de mettre en danger une super bonnasse que les flics devront protéger ? » « Mais c’est pas le scénar du premier Bad Boys, ça ? » « Si, mais on s’en bat les couilles, parce que je mets deux fois plus de cascades et que la bonnasse, c’est la soeur de Marcus qui baise avec Mike, et que forcément, ça va leur donner l’occasion de s’engueuler. Et même que la bonnasse, elle travaille dans une agence anti-stups… »
Silence dans le bureau de Bruckheimer, qui appelle illico Michael Bay, le réalisateur du premier opus. « Salut Michael, ça va, la famille, les gosses, tout ça ? Dis, tu peux me faire un Bad Boys II ? Comme c’est un numéro 2, tu as deux fois plus de budget et il doit y avoir deux fois plus de cascades et deux fois plus de fusillades.« Et le bougre a tenu son engagement.
On est sévères, en disant que rien n’a changé en huit ans. Mike est toujours richissime et séducteur. Mais il a troqué sa Porsche 911 Turbo 3.6 pour une Ferrari 550 Maranello. Il ne fallait rien de moins que ce coupé coiffant la gamme du Cheval cabré de 1996 à 2002. Tout baigne aussi pour Marcus, qui habite maintenant au bord de l’eau, et qui s’est fait installer une piscine à 3900 dollars.
Et les trafiquants de drogue ? Le plus barge d’entre eux s’appelle Johnny Tapia, veut inonder la Floride d’ecstasy, et a aussi un petit business dans les salons mortuaires. Sympa, la symbolique… Tapia a une obsession : envoyer sa thune blanchie à Cuba. Mike Lowrey et Marcus Burnett sont sur sa piste, avec le service Tactical narcotics team de la police de Miami. La DEA (Drug enforcment agency) est aussi sur le coup. Syd, la soeur bonnasse de Marcus, est infiltrée pour faire transférer une poignée de millions de dollars.
Mais la livraison d’argent, en haut d’un parking, ne se passe pas comme prévu. Une bande d’Haïtiens armés jusqu’aux dents entend faire foirer l’opération et aligne, pour poursuivre la belle Syd dans son GMC Yukon, un florilège des meilleurs muscle cars américains : Pontiac Trans Am, Firebird en tête…
Un premier carnage prive les Haïtiens de leurs moyens de transport, dans une rue où est stationné par hasard un camion chargé de six voitures neuves. Ne me dites pas que… Non… Comme les Haïtiens ont le sens du spectacle et de la loose, ils ne trouvent rien de mieux que se lancer à la poursuite du GMC Yukon de Syd-la-bonnasse au volant du poids lourds. C’est vrai, un camion chargé de bagnoles, c’est tellement maniable, puissant…
Bien leur en prend parce que Syd-la-bonnasse ne parvient pas à distancer, avec son Yukon, le bahut des Haïtiens. Allez comprendre comment. On se demande même si elle ne fait pas exprès de ne pas accélerer. Mike a sorti sa 550 Maranello (il faut bien un V12 de 5.474 cm3 et 485 chevaux pour les besoins du service) pour filer à leurs trousses. Pourtant, il savait que les étaient armés jusqu’aux dents, et qu’avec un chargement de bagnoles, ils n’allaient pas tarder à les envoyer sur les poursuivants… Mike, en bon gentleman driver, se contente de rester sagement derrière le camion… et éviter les balles et les bagnoles qui tombent du camion.
Marcus, depuis le siège passager, est cantonné au rôle de canardeur. Parfois, il est un peu relou, Marcus… et se laisse aller à quelques tirs dans le tableau de bord de la 550 Maranello, plutôt qu’à l’extérieur. Mais Mike n’est pas du genre à se laisser déconcentrer pour si peu. Alors que devant eux, un camion percuté par les Haïtiens perd son chargement (un hors-bord, excusez du peu, et le premier qui ricane prend une baigne), intervient le coup de génie bien caché dans le scénrio : Mike, dans sa Ferrari, pile au milieu de l’autoroute.
Freinage et immobilisation impeccables qui l’empêchent de s’encastrer et d’exploser dans le bateau. Réflexe que n’ont pas les conducteurs des bagnoles suiveuses. C’est bon pour le spectacle. Le fait que la Ferrari ne se fasse pas emplafonner par derrière tient du miracle. Non, de l’intervention divine. Non, une action extra-terrestre qui a entouré la belle italienne d’un bouclier magnétique.
Le principal, c’est que Mike et Marcus s’en sortent, Syd-la-bonnasse parvient à semer les Haïtiens (alors qu’elle galérait grave depuis quinze bornes). Dans l’histoire, la Ferrari 550 Maranello a perdu un phare et un tableau de bord (21.000 dollars de dégâts, paraît-il). La police, elle, a perdu vingt-deux voitures.
A l’écran, la scène dure une petite dizaine de minutes. Elle a nécessité quatre jours de tournage et plusieurs mois de préparation. Pas crédible, la séquence n’en reste pas moin spectaculaire, très esthétique, techniquement et visuellement irréprochable. Des séquences comme celle-là, Michael Bay ne pouvait pas en reproduire des paquets. Ce qui ne l’empêche pas de renouveler le genre de la poursuite un peu plus tard : Mike et Marcus pensent savoir que des cadavres sont utilisés par Tapia pour transporter drogue et argent.
Mais ils sont à pied pour prendre en chasse un corbillard. Réquisitionner une voiture, dans la rue, doit être un jeu d’enfant, quand on est flic à Miami. Marcus, à qui la mission incombe, ne trouve qu’une vieille Chevrolet blanche à bande rouge, sans âge, conduite par Michael Bay en personne, à se mettre sous le pied droit.
Caisse qui n’est pas du goût de Mike Lowrey. Lui préfère une Cadillac CTS neuve essayée par un vendeur avec, à ses côtés, Dan Marino, célèbre ex-joueur de foot américain. Marino, plutôt classe, prend bien son éviction de l’habitacle (c’est pas sa bagnole, en même temps), et enjoint les flics à lui dire ce qu’ils pensent de la Cad’. Evidemment qu’elle déchire, la Cadillac CTS, même si cet exemplaire-là finit à l’état d’épave dans la vitrine d’une banque… et qu’à son volant, Mike s’est fait distancer par un bête utilitaire Mercedes Sprinter.
Les efforts de Mike et Marcus ne sont pas vains, puisque le petit manège de Tapia vers Cuba est repéré. Comme est repéré le vrai rôle de Syd-la-bonnasse. Comme Tapia n’est pas le dernier des sauvages, il enlève Syd-la-bonnasse à Cuba. Mike et Marcus montent à la va-vite une unité d’intervention et d’élite pour aller délivrer la belle des griffes de Tapia-le-fou.
Rebondissement improbable, hallucinant, mais qui donne lieu, après la pulvérisation pure et simple d’une villa, d’une dernière poursuite : dans la villa se trouvait un Hummer jaune, emprunté par Mike, Marcus et Syd-la-bonnasse. Ils n’avaient que ce moyen-là pour s’échapper de la bicoque dynamitée. Sauf que là, c’est Mike, au volant, qui est poursuivi, et non le poursuivant.
Décidément, ces bagnoles américaines n’ont rien dans le sac : Mike dans son Hummer n’est pas foutu de larguer Tapia, à sa poursuite… dans un antédiluvien Land Rover. La poursuite n’est pas crédible, mais encore une fois réalisée au cordeau : les autos dévalent la colline à travers une favela qui explose sur leur passage (ben oui, les baraques défoncées sont chargées de produits toxiques qui servent à fabriquer de la drogue)…
Suprême incohérence : le Hummer comme les Land Rover restent toujours sur leurs roues malgré des sauts, disons… spectaculaires. Mais bon, c’est Mike Lowrey, au volant, aussi à l’aise dans une Ferrari 550 Maranello, une Cadillac CTS ou un Hummer. Pas crédible pour deux sous. Mais quand on est un Attila de la police, ou un nihiliste, ça a quelque chose de jubilatoire de voir toutes ces bagnoles détruites au nom de la lutte contre le crime aux Etats-Unis.