Ce devait être une simple visite. Classique, en théorie. Pas un musée, non. Un conservatoire. C’est devenu une vraie aventure. Dans l’anonymat d’un entrepôt banal se cache un véritable trésor. Un pan de l’histoire d’Heuliez à toucher du doigt, ça se mérite…
Il est 7 h 45, samedi 3 juillet. Seul le double bip du verrouillage d’une classique Renault Mégane pour troubler la quiétude des lieux. Et ce type en chemise, dans son aquarium, seul gardien d’un temple qui paraît bien endormi, dans l’attente d’un énième coup de fouet… L’usine Heuliez, à Cerizay, dans les Deux-Sèvres, paraît inanimée. Les lieux sont déserts. Un site comme groggy, chopé par un vieux contre-coup, après une année sous tension, depuis l’échec de la reprise par BKC, après promesses non tenues et faux espoirs de reprise réelle. Mais la seule explication valable à cette léthargie ambiante, c’est que c’est week-end… Le premier des vacances d’été, qui plus est.
Nous sommes bien à la porte de l’usine Heuliez, illustre carrossier deux-sèvrien autrefois triomphant, sous-traitant de luxe, constructeur, même, bureau d’études influent, mais que l’on donnait il y a quelques semaines pour mort, ne valant plus un sesterce. Drôle d’endroit pour une rencontre.
Un battement de cils : il y a cette tour Heuliez, figée, ces entrepôts muets. Deuxième battement de cils : le grondement sourd d’un V8 qui s’approche, agitant ce pick-up Chevrolet violet, qui fonce droit vers le poste de garde. Troisième battement de cils : le pick-up Chevrolet s’est garé à deux pas d’un hall métallique, dans lequel les racks de pièces détachées de carrosserie, stockées sur plusieurs étages, masquent à peine la caverne d’Ali Baba. La voilà, cette fameuse collection Heuliez, ou plutôt ce Conservatoire. La voilà, retracée en quelques dizaines de modèles, stationnés en épis, l’histoire du carrossier-constructeur.
Elles sont soixante ou soixante-dix, parfois poussiéreuses, parfois déglinguées, mais tellement précieuses. Et parmi ceux qui s’affairent à leur ôter de la vulgaire bâche en plastique à la prestigieuse housse siglée, il y a Vincent Dabin (ci-dessus, à gauche). Le président de Deux-Sèvres Auto mémoire, qui connaît cette collection, mais sur qui le charme opère toujours : « Rien que d’en parler, j’en ai des frissons« .
Celui qui a le sourire malicieux, conscient qu’il a de quoi mettre une bonne claque à plus d’un passionné d’automobiles, à la tenue siglée Heuliez, c’est Vincent Thibaudeau (ci-dessus à droite). Prêt à dégainer les anecdotes qui touchent chacune de ces voitures, tout en s’assurant que son invité du jour, tout discret et tout penaud, en prend effectivement plein la gueule, en déambulant au milieu du Trésor. Il est visiblement fier, Vincent Thibaudeau, et sûr de son coup.
Pouvoir montrer cette collection, qui ne se visite pas, en temps ordinaire, relève du miracle. On y trouve des maquettes à l’échelle 1 en argile, en plâtre ou en bois, des prototypes, des concept-cars uniques et oubliés sitôt les spotlights des salons éteints, des études de style restées secrètes et d’autres tombées dans l’oubli.
Les voir réunies sous le même toit relève également du miracle. « Elles étaient entreposées un peu partout. On les poussait pour faire de la place à d’autres… » explique Vincent Thibaudeau. Avant d’être témoignage et pan de patrimoine de l’usine, ces autos ont été des boulets qui prenaient de la place. Jusqu’à ce que Vincent Thibaudeau, chauffeur de la direction d’Heuliez, entreprenne leur regroupement, dans un lieu de l’usine vidé, faute d’activité suffisante.
Les autos réunies sont des survivantes. D’autres, qui composaient la collection, ont été vendues aux enchères. Et les difficultés chroniques de l’entreprise ne faisaient qu’ajouter à la fragilité de l’ensemble qui subsistait. Parmi les craintes de Vincent Thibaudeau et de Vincent Dabin : qu’un repreneur soucieux de rentabilité vende les voitures, une manière de renflouer assez rapidement les caisses. Ou que la fin de l’aventure et liquidation éventuelle finissent par aboutir également à une vente, donc à la dispersion des prototypes Heuliez.
Histoire de limiter la casse, une procédure de classement de trois voitures de la collection, au titre de monuments historiques, a été entreprise par Vincent Thibaueau, et Deux Sèvres auto mémoire. Dans le même temps, l’association Deux-Sévrienne, entreprenait une campagne de sensibilisation, s’appuyant sur la collection Heuliez pour définir une offre touristique en relation avec le patrimoine automobile en Deux-Sèvres. Projet ambitieux dépendant pour beaucoup de la survie d’Heuliez.
La collection, qui n’est pas accessible au public, regorge de tout : des voitures emblématiques, des vilains petits canards, des concepts ratés, ou alors d’autres « qui ont eu raison trop tôt« . Toutes les voitures ont une histoire, et témoignent de la créativité du carrossier, de sa capacité à être force de proposition. Avec plus ou moins de réussite. Des autos rares, donnant l’impression de se faufiler, avec un peu de retard, dans la confidentialité des bureaux d’études, certes. Des concepts cars dans lesquels on peut désormais presque s’asseoir, alors qu’il était formellement interdit de les toucher, sur les stands des salons.
Mais il existe surtout cette « vie », ces ancdotes, petites et grandes histoires qui donnent l’étoffe de ces bijoux poussiéreux. De petites histoires en partie détenues par Vincent Thibaudeau, qui flirte avec les secrets de la maison depuis près de vingt ans. Deux heures suffisent à peine pour faire connaissance avec la collection. Et l’homme veille également sur un autre aspect du patrimoine d’Heuliez : la documentation, les dossiers techniques, les objets promotionnels, les dossiers de presse. Un patrimoine encore en sommeil, dont l’unité est encore suspendue à la réussite économique du « nouvel » Heuliez.
Samedi 3 juillet, jour de visite exceptionnelle, cela faisait deux jours que les nouveaux repreneurs, BGI et ConEnergy (avec la groupe Kohl) disposaient des clés de l’usine, choisis par le tribunal de commerce de Niort. L’activité d’emboutissage conservée par BGI, et le développement de la voiture électrique confié à ConEnergy.
La collection est restée dans le giron de l’activité centrale d’Heuliez, détenue par BGI, dont l’un des dirigeants est François de Gaillard, ingénieur vendéen qui a débuté sa carrière chez Heuliez. Et ce 3 juillet, François de Gaillard était là, à déambuler au milieu du livre d’histoire Heuliez. Il avait garé sa Peugeot 404 rouge juste à la grande porte. Restait sagement dans l’ombre de Vincent Thibaudeau. Et paraissait avoir quelques idées en tête. Un samedi 3 juillet pas comme les autres à Cerizay. Vraiment un drôle d’endroit pour de sacrées rencontres.
PS : Mille mercis à Vincent Thibaudeau, Vincent Dabin, Philippe Berneux, François de Gaillard, Paul Biget, pour leur invitation, leur passion communicative, leur sens de l’accueil, leur gentillesse, leur disponibilité… Merci aussi à André Leroux, qui a fait un boulot remarquable sur l’histoire d’Heuliez, à lire ici de toute urgence !