Ficheux, 550 habitants. Une riante bourgade à dix kilomètres au sud d’Arras. Tranquille. Trop tranquille. Sauf quand déboule Sogno di Cavallino, une association créée en 2004 pour récolter des fonds au profit de l’Institut du cerveau et de la moëlle épinière, et aussi aider à l’aménagement de voitures de personnes handicapées.
Chaque année, l’association Sogno di Cavallino installe à Ficheux sa base des Promenades du Cavallino, chères à Patrice Darras, emblématique président, disparu en octobre 2009. L’homme était un amoureux de Ferrari, et avait notamment su fédérer autour de son combat des propriétaires de Ferrari. L’idée : récolter des fonds en « vendant » au public de s’offrir un baptême, dans le baquet passager d’une de ces autos frappées du cheval cabré. Bien entendu, rien dans les poches des propriétaires de Ferrari (le carburant, les frais de déplacement, c’est pour eux). Tout dans les caisses de Sogno di Cavallino, et, indirectement, pour la recherche.
Cette année, pour la première édition des Promenades sans Patrice Darras, un record a été battu : près de cent voitures ont fait le déplacement. L’inventaire laisse rêveur : une floppée de Ferrari (400i, Mondial, 308, 348, F355, 360 Modena, 456 GT, 575M, mais aussi une 599 GTB Fiorano venue spécialement des Alpes Maritimes), des Porsche (911, 928, 924), une Audi R8, une Jaguar XK8 cabriolet, une Dodge Viper, une Ford Mustang Saleeen, des Lotus Esprit et Elise, une Lamborghini Murcielago, mais aussi des Nissan 350Z et GT-R… Pour ne citer qu’elles. Bref, le gratin mondial des GT rugissant à chaque départ.
Deux formules étaient proposées : 40 euros le baptême « rouge », dans une auto d’après 1995, et 20 euros le « jaune », dans une vénérable sprinteuse de plus de quinze ans. A chaque fois, le plein de sensations, une fois le drapeau baissé et le coup de sifflet donné par Marcel Lucchini, coordinateur des baptêmes.
Un « testé pour vous » n’était pas obligatoire. Mais s’imposait quand même. Le généreux Marcel voulait absolument que je goûte à une Ferrari. Mon ami à usage unique du jour, au volant, c’est Benjamin Beau. Sa monture, une Ferrari 360 Modena… « du boulot ». Explication : Benjamin est attaché commercial chez Verbaere Occasions Prestige, à Lomme, près de Lille.
La Modena a 61.000 km, une petite dizaine d’années… et elle est à vendre 75.000 euros. Le panneau de sortie d’agglomération de Ficheux n’est pas encore passé que le V8 de 400 ch prend les tours. Palettes au volant, Benjamin enquille les vitesses. Et ça envoie du bois. Des à-coups à chaque passage de rapport. Visiblement, Benjamin se fait plaisir. L’aiguille du compteur a flirté avec quels chiffres ? Oublié (excuse officielle). En réalité, je ne me permettrai pas de balancer.
Benjamin Beau finit par vanter l’indéfinissable plaisir procuré par ces engins. Il a d’abord possédé une 400i, puis une 348. La 400 ? « Le premier V12 quatre places. Enzo Ferrari roulait avec. » Ca tombe bien : un modèle de 1980 nous précède. « Elle est dans un état de conservation exceptionnel. Les gens n’imaginent pas quel morceau d’histoire c’est. » Quelques ignares ont fait la fine bouche, pour leur baptême, et ont préféré la laisser filer. Son proprio, apparemment pas vexé, est parti s’amuser sans personne à ses côtés. Injustice réparée par la suite, heureusement.
Et sinon, une Ferrari, c’est fiable ? J’avais entendu dire que les 348, en 1989, c’était pas de l’incassable. « Quand Enzo est mort, ils se sont dit que les gens allaient acheter des Ferrari. Donc ils se sont dépêchés de la mettre au point. A haute vitesse, le train avant n’était pas très précis. Elle pouvait louvoyer« , tranche Benjamin. Et puis la fiabilité, ça dépend aussi, selon lui, de la fréquence d’usage, et aussi de la manière dont l’auto est utilisée. Et, affirme-t-il, une Ferrari doit rouler régulièrement. « Une Porsche, vous la laissez sans tourner six mois, elle n’ira pas très bien non plus. »
A part ça, les affaires sont bonnes, en ce moment ? « Les voitures les plus chères, c’est difficile. Mais à moins de 60.000 euros, il y a des gens qui veulent encore se faire plaisir. » Lui-même a cédé, il y a quelque temps. « On bosse beaucoup, on est fatigués, mais quand on prend l’auto, on roule, ça détend. On baisse les vitres, on entend le moteur, on n’a pas besoin d’autoradio. » Déjà, un petit quart d’heure, ça donne la patate, alors un aller-retour sur la côte d’Opale…
Retour à la case départ. Les autos se succèdent, et « s’éjectent » du petit village, qui connaît une seule fois par an ce type d’embouteillage. « Je n’en ai jamais vu autant d’un seul coup« , témoigne un spectateur. C’est ce qui fait la magie des Promenades du Cavallino, qui n’ont jamais autant mobilisé. Patrice Darras peut « dormir » tranquille…
- Benjamin Beau, gentleman driver en Ferrari 360 Modena.